Un semblant de moi

Pour cette première consigne, il fallait créer une nouvelle d’inspiration autobiographique. J’ai eu le choix des outils narratifs pour une expression personnelle. Le but étant de trouver son « style ». Cet essai est donc la pour prendre la mesure de là où nous débutons. Bonne lecture !

Un semblant de moi

Fermement cramponné à la main courante, j’attendais avec impatience l’immobilisation du véhicule. Enfin, le crissement des mâchoires sur les rails métalliques se fit entendre. Les portes automatiques se déverrouillèrent dans un tintement strident. Je sentis l’air frais me piquer le visage. Je titubai mais réussis à m’extirper du Wagon et parcourir quelques mètres. Les mains plaquées sur la paroi de l’abribus, je tentai de reprendre mes esprits. Les inspirations saccadées me procuraient  à peine l’oxygène nécessaire pour me tenir debout. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front et un goût acide tapissait le fond de ma gorge.

– Monsieur, tout va bien ?

Une main sur mon épaule, le corps courbé, la tête inclinée pour soutenir mon regard, une charmante petite dame m’adressa cette phrase avec bienveillance. A peine ces quelques mots parvinrent à mon cerveau qu’ils ébranlèrent mon être entier. Que pouvais-je répondre à cela ?

J’étais en pleine crise d’angoisse à la simple idée de me rendre au boulot. Je venais pourtant d’être gratifié d’une promotion. Balancé dans un service où même le mot « sens » n’en avait plus, mais promotion quand même.

Condamné ! Oui c’est le mot.

Condamné aux galères, ayant pour unique corvée, l’exécution de tâches abjectes dans une ambiance exécrable.

J’aurais sans doute dû refuser l’augmentation, rester douillettement planqué dans mon ancien service. Bref, j’étais le seul à blâmer.

Le barouf mécanique des roues du tram qui redémarrait résonna dans mon cerveau comme le boucan d’une salle des machines. Les affiches publicitaires, les arbres, les immeubles tournoyaient autour de moi, mes jambes ne me soutenaient plus.

Je sentis brusquement une prise ferme sous les bras me soulever du sol et m’assister pour atteindre l’intérieur de l’aubette. Quelques secondes plus tard, j’étais assis sur la banquette en plastique, le corps avachi et la tête lourde.

– Monsieur, vous m’entendez ? Ca va ?

La voix était toujours douce mais se faisait plus anxieuse. Ma bouche ne parvenait pas à s’ouvrir. Scellée ! Engourdi de stupéfaction et d’incompréhension, j’étais incapable de répondre.

Bien sûr, je pouvais essayer de me persuader que c’était mieux dans mon ancien job. Mais  je n’allais pas analyser des chiffres jusqu’à la fin de ma vie. Et puis la vérité, c’est que mon job précédent ne m’épanouissait pas non plus. J’avais simplement choisi la suite logique de mon ascension professionnelle. Pas de quoi paniquer.

Car, j’en avais parcouru du chemin et gravi des échelons pour « réussir » au sein de cette société. « Tu as quand même une belle situation » clamaient ma famille et mes amis. « Tu ne pourras jamais rêver de meilleure place ailleurs ».

Evidemment que tout allait bien. Nul besoin de me mettre dans un état pareil. Alors pourquoi j’étouffais ? Pris au piège, le boa salarial resserrait doucement ses anneaux pour m’étourdir jusqu’à en perdre connaissance.

La fraîcheur automnale dissipa doucement la brume qui aveuglait mon esprit. Je commençais à comprendre ce que mon corps cherchait à communiquer dans un réflexe de survie. Il déclenchait la sonnette d’alarme.

Il fallait bien se rendre à l’évidence : là où l’école avait échoué, le monde professionnel gagnait la bataille avec perfidie. Refermant le couvercle de la boîte dans laquelle j’étais incapable de rentrer jusque là.

Me conformer, suivre le courant n’avait jamais été mon fort, déjà petit.

Soudain, comme un cavalier surgissant de la nuit, une phrase vint éclaircir la nébuleuse dans laquelle j’étais englué : « Vous n’êtes qu’un imbécile, vous n’arriverez à rien dans la vie, vous irez vendre des frites plus tard ».

Un coup de semonce vociféré par M. Carton, mon prof de math au lycée.

Et moi de rétorquer avec une insolence juvénile : « Parce que pour vous, être prof de math dans une école pourrie, c’est une réussite absolue !? ».

Le genre d’effronterie provocatrice, que je promulguais volontiers à l’époque.

Mais cette phrase m’avait suivi, elle s’était frayé un chemin dans le dédale de mes incertitudes. Même si à cet instant précis, elle m’apparut désuète. Qui était-il pour déterminer mon degré d’imbécilité ? Mais comme disait Audiard : « les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait. »

Des sorties de ce genre, j’en ai collectionné : « Vous êtes un fainéant, vous pourriez être le premier mais ne vous ne faites aucun effort, … ». J’avais rapidement envoyé balader l’école et son système archaïque. Je ne m’y sentais pas à ma place et on me le faisait bien comprendre.

Il est évident que je n’étais pas un exemple à suivre, en tout cas au sens où l’éducation nationale l’entend. Juste parce que je ne correspondais pas aux normes, j’étais déclaré inapte, en échec. Quelles normes d’abord ? Correspondre à ce que le monde de demain attend de nous ? Participer à l’économie telle qu’elle est pensée par certains puissants ? En ne considérant jamais notre opinion, nos envies, notre personnalité ?  Car on se moque de nous, nous ne sommes pas l’objet de l’équation, nous en sommes le résultat.

Arriver dans la vie disait Carton… Où place-t-on le curseur ? Est-ce l’argent qui motive ? L’épanouissement personnel ? La sécurité et  la stabilité pour sa famille ? La reconnaissance de ses pairs ?

J’ai tenté d’être légitime aux yeux de mes employeurs. J’ai lissé, effacé, oublié qui j’étais vraiment. Mais à trop vouloir mettre des couches de vernis, il s’écaille, laissant apparaître la matière brute.

Alors aujourd’hui c’est terminé, après des années de leurre, je refuse de m’adapter à n’importe quel prix. En tout cas pas en payant celui de mon identité. Je me fous d’avoir « réussi » dans ces conditions, je veux vivre selon mes aspirations et pas celles dictées par la société. Mais pardon je m’emporte. Quelle était la question ? Ah…

– Oui Madame, ça va beaucoup mieux maintenant, merci.

4 réflexions sur “Un semblant de moi”

  1. La consigne est que cette nouvelle devait être d’inspiration autobiographique et contenir maximum 6000 signes. C’est donc la première… d’une longue série. Soyez magnanimes !

    1. Beau début, j’ai vraiment aimé la mise en situation, très détaillée et réussie. Tu m’as vraiment emporté dans l’environnement. Et en effet cela correspond bien au personnage que je connais.

  2. Beau début, j’ai apprécié la mise en situation très réaliste, tu m’as vraiment mis dans le décors. Et en effet cela correspond bien au personnage que je connais.

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