Docteur Goupil à la rescousse

Pour cette 29eme consigne, je devais remanier le texte « la ruse » de Maupassant et le rendre accessible à un jeune public. J’avais le choix du ton et la possibilité d’adapter. J’ai choisi de rester proche de l’oeuvre originale au niveau du fond. Par contre, j’ai pris quelques libertés par rapport à la forme. Je vous laisse découvrir le bestiaire utilisé et l’ambiance imaginée pour faire revivre ce classique d’un maître.

Bonne lecture !

Docteur Goupil à la rescousse

Le docteur Goupil dormait paisiblement depuis deux bonnes heures. Il ronflait à en faire trembler les murs quand son assistant vint le réveiller brutalement.

— Docteur, docteur, venez vite ! Une patiente a besoin de vous, une urgence parait-il.

— Ça ne peut vraiment pas attendre demain matin ?

— Non, madame Labiche insiste, elle veut vous voir chez elle, immédiatement.

— Labiche, dites-vous ?

Le médecin bondit du lit et s’habilla promptement. Le temps de passer un gant de toilette sur son museau et un coup de peigne sur sa queue, il était présentable. Pour madame Labiche, il ferait n’importe quoi, c’était la plus belle des habitantes de tout le Sous-bois, le quartier huppé de la forêt. Mais pourquoi le demandait-elle à une heure aussi tardive ? Il descendit les escaliers et en passant devant la cuisine, il interpella son majordome.

— Monsieur Blaireau, merci de sortir le break du terrier, je vous prie, nous partons.

Arrivé devant l’imposante demeure de sa patiente, Goupil ajusta son col, attrapa une fiole de parfum dans sa valisette, et s’en aspergea le poil. Il descendit enfin du véhicule et frappa trois fois à la porte. C’est mademoiselle Belette qui vint lui ouvrir, la mine catastrophée.

— Bonsoir, vous en faites une tête, mon amie. Est-ce si grave que cela ? s’enquit-il.

Les larmes au bord des yeux, elle lui demanda de la suivre à l’étage. La servante s’arrêta devant la chambre de sa maîtresse et pria le docteur d’entrer. Quant à Blaireau, il avait reçu pour consigne d’attendre dans le petit salon.

Goupil pénétra dans la pièce. Vêtue d’une nuisette et d’un peignoir de soie, madame Labiche était assise sur le grand lit, la tête enfouie entre les sabots. Le médecin s’approcha d’elle, se pencha et sursauta en découvrant un corps gisant sur le sol, aux pieds de la bourgeoise éplorée.

— Mais que s’est-il passé, qu’est-il arrivé à ce pauvre bougre ?

— Oh docteur, vous êtes là. C’est affreux ! Oui affreux ! sanglota la malheureuse.

— Allons, calmez-vous, ma chère, et expliquez-moi !

— Monsieur Orignal était venu me rendre une visite de courtoisie avec une bonne bouteille de gin. Nous avons décidé de trinquer ensemble en attendant le retour de mon époux.

La belle marqua une pause en noyant son regard dans la crinière noire de son compagnon de soirée, étalée sur le tapis. Ensuite, elle prit une respiration saccadée et continua son explication.

— Une chose en entraînant une autre, nous sommes montés. Nous… jouions innocemment, mais énergiquement sous les draps, quand soudain, il se figea, bascula de la couche et s’écroula sur la moquette.

Le docteur Goupil prit le pouls de l’infortuné et constata le décès par arrêt cardiaque à 23 h 42. Lorsque madame Labiche comprit qu’il n’y avait plus rien à faire, elle s’effondra sur le matelas et pleura de plus belle.

— Vous teniez tant à lui ? Je suis vraiment désolé.

— Non, c’est que mon mari ne devrait pas tarder à rentrer du cercle des cervidés, il ferme à minuit… Que vais-je faire ? Comment lui expliquer ? C’est horrible.

La belle enfant implorait l’allopathe avec ses yeux en forme d’amande.

— Oh docteur, on vous dit le plus rusé de la région. Venez à mon secours, s’il vous plaît. Ne me laissez pas dans cette situation, je ferai ce que vous voudrez.

Il la jaugea, la serra contre lui et fit ensuite un pas de recul en arborant un sourire carnassier.

— Foi de renard, je vais arranger l’affaire. Bon, commençons par lui remettre ses habits. Qui est au courant, à part votre domestique ?

— Personne. Et j’ai toute confiance en elle.

— Très bien, activons-nous ! Dans quinze minutes, votre époux sera de retour.

Une fois monsieur Orignal renippé, Blaireau prêta main forte à Goupil pour descendre le corps au rez-de-chaussée. Ils le saisirent par les pattes et l’assirent sur le canapé. À cet instant, tous entendirent la clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. Minuit avait déjà sonné. Monsieur Cerfeuil rentrait chez lui.

— Docteur ? Mais que faites-vous chez moi à cette heure ?

— Bonsoir, monsieur Cerfeuil, mademoiselle Belette m’a appelé, car monsieur Orignal faisait un malaise alors qu’il lui rendait visite après son service.

— Effectivement, cette vieille branche n’a pas l’air en forme.

Il se tourna alors vers sa femme.

— Et toi, ma bichette, pas trop sous le choc de ce remue-ménage ? Tu es aussi pâle qu’un galet. Toi qui voulais te coucher tôt…

— Non, je suis juste fatiguée, d’ailleurs je brame aux corneilles, je remonte.

Le maître de maison se tourna alors vers les invités de dernière minute. Vous servirais-je un petit remontant, pour lui aussi peut-être ? ricana-t-il en pointant du bois le défunt affalé sur le divan.

— Non, je pense que le mieux est que nous le conduisions au cabinet pour pouvoir le soigner dans les meilleures conditions. N’est-ce pas, mon cher Blaireau ?

L’assistant s’exécuta. Ils agrippèrent l’élan et l’installèrent dans la voiture. En chemin, un silence de mort régnait dans l’habitacle. Le médecin le rompit en indiquant la véritable destination à Blaireau.

— Emmenez-nous chez lui !

— Que comptez-vous faire à présent ?

— Nous allons l’installer dans son fauteuil. Je passerai demain matin pour déclarer officiellement son décès.

— Vous êtes sûr de vous ?

— Mais oui. Ce ne sera pas compliqué d’expliquer qu’après l’avoir examiné ce soir, nous l’avons reconduit. Et en passant le visiter le lendemain matin, je l’ai trouvé inerte dans son fauteuil… Une rechute durant son sommeil et voilà tout.

En sortant de chez Orignal, l’assistant jeta un regard réprobateur à son employeur. Il désapprouvait complètement les décisions qu’il avait prises ce soir. Installé dans le véhicule, le renard se pencha sur son acolyte.

— Je sais ce que vous en pensez, et vous avec raison. J’ai agi sur le coup de l’émotion, dans l’urgence. Madame Labiche était anéantie, j’ai cherché à ne pas en rajouter davantage.

— Vous connaissant, vous n’hésiterez pas à le lui rappeler à l’occasion.

— Il se peut, en effet, qu’un de ces jours, ce soit à son tour de venir visiter ma tanière.

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