Le goût de la cruauté

Pour cette 30eme consigne, l’exercice consistait à écrire un premier jet, d’un sujet libre sans visée particulière. Il fallait ensuite reprendre le texte, en réfléchissant à ce que je voulais transmettre au lecteur. Quel est le message à faire passer et sous quelle forme ? Je vous ferai grâce de l’analyse complète rendue à mon correcteur et de la liste des différents outils narratifs mis à notre disposition.

Vous trouverez ci-dessous, la mouture finale, la plus retravaillée. J’ai également laissé mon premier jet, que j’ai transformé de fond en comble pour aboutir à la deuxième version.

Bonne lecture !

Le goût de la cruauté

Pendu la tête en bas, mes yeux s’ouvrent doucement sur une scène horrible. J’aperçois mes compagnons d’infortune, réunis derrière une baie vitrée. En pivotant, je remarque un homme qui se dirige vers moi, un couteau à la main. J’ai peur de comprendre. Que me veut-il exactement ? J’angoisse, mais je suis incapable de me débattre. Je préfère garder les paupières closes.

Quand je suis arrivé dans cette belle région il y a quatre mois, je trouvais pourtant la vie merveilleuse. La nature luxuriante ravissait mes yeux ébahis durant mes longues promenades. Je plongeais avec volupté dans le lac jouxtant la belle propriété que nous habitions ma mère, mon père, mes frères et mes sœurs. Nous ne manquions de rien et le propriétaire était charmant avec nous. Je jouais d’ailleurs beaucoup avec son fils et une amitié naissait entre nous. Or, il y a deux semaines, tout a changé.

Des gens sont venus me chercher. J’ai été séparé de ma famille, emmené dans un hangar et jeté parmi d’autres qui comme moi, étaient apeurés et démunis. Nous avons passé quelques heures sur un sol dur et sale avant d’être enfermés dans des cellules individuelles. Je n’avais même pas la place de me retourner tellement l’espace était exigu. Seul rappel du monde extérieur, les petites lucarnes situées sur la toiture diffusant la lumière du jour.

Je sens maintenant la présence de cet étranger tout proche de moi, la lame sur mon cou. Cette incise salvatrice va-t-elle enfin abréger mes souffrances ?

Car depuis mon enfermement, j’ai été condamné à un traitement violent. On m’a laissé croupir dans mes excréments. J’ai bien tenté de m’échapper, mais je me suis blessé. J’ai mal partout, je suis sûr d’avoir contracté une maladie, car il m’est difficile de respirer. Mon ventre me fait souffrir. Ne pas pouvoir m’allonger de tout mon long m’a privé de sommeil, je perds des plumes à vue d’œil.

Je repense aux beaux moments de mon existence, quand je volais, quel sentiment de quiétude. À cette période idyllique, ou pour varier de la nourriture que le fermier nous apportait, je pêchais l’alvin dans notre mare adorée. Tout ça me manque, j’ai envie de crier, mais mon palais enflé m’en empêche.

Dans cet enfer, l’unique distraction quotidienne est un vilain bonhomme qui passe de cage en cage. M’attrapant le bec pour y planter l’embuc de son horrible machine jusque dans mon jabot. Mon œsophage est irrité, mes entrailles se déchirent à chaque  déglutition. De force, j’ai ingurgité une pâtée infecte. Cent fois, j’ai voulu la vomir. Impossible. Que contient cette mixture infâme pour bloquer le réflexe de régurgitation à ce point ?

Je ne peux même plus déployer mes ailes, les forces me quittent, je voudrais me débattre, mais je n’y arrive pas. J’aimerais au moins connaître la cause de tout ceci, ce que j’ai fait pour le mériter. Des larmes s’évadent sur mon plumage. Malgré les liens qui serrent mes pattes et me font atrocement mal, c’est un profond chagrin que je ressens. Je suis triste de l’injustice qui me frappe. Je vais mourir sans aucune explication. Mon bourreau ne semble avoir aucun état d’âme.

Je regarde une dernière fois autour de moi. Dans un coin de la pièce, je vois la dépouille de certains de mes congénères palmipèdes s’amonceler au pied d’un sapin orné de boules brillantes. Attablé juste à côté, un humain semble prélever le foie de tous ces corps inertes. Une pièce énorme, je ne pensais pas que cet organe était si gros.

Une douleur aigüe traverse alors mon corps, mes dernières forces me quittent.

Premier jet : la ferme du bonheur

— Que se passe-t-il ? Pourquoi est-il suspendu par les pattes ? Et le monsieur, il va faire quoi avec ce couteau pointé dans la direction du canard ? Est-ce qu’il va leur arriver la même chose à tous ? Dis papa, tu me réponds ?

— Je travaille, Tom. Je t’ai déjà dit qu’il ne fallait pas que tu me poses autant de questions sur mon travail, va plutôt jouer dehors avec Denis.

— Bon d’accord.

Tom ne se rend pas bien compte de tout ce qui se passe autour de lui. Il sait juste que son papa fabrique du foie gras, mais il n’a jamais fait le rapprochement avec tous ses copains palmipèdes de la ferme du père de Denis. Lui, il adore observer les animaux pendant des heures, les nourrir, jouer avec eux. Il est devenu très proche d’un petit canard d’ailleurs. Mais depuis deux semaines, il ne le voit plus.
Il pense que c’est René qui l’a emmené dans le hangar. Et le hangar, Denis lui en a déjà parlé. Il parait qu’il est rempli d’oies, de canards, de cochons enfermés dans des cellules individuelles à barreaux. Ils ont juste la tête qui dépasse et vivent dans leurs excréments. Paraît que ce n’est pas beau à voir, mais que c’est grâce à ça que les familles en France, elles ont des pâtés et de la terrine à Noël, alors faut pas trop réfléchir.

N’empêche que Tom, il trouve que c’est rudement mieux à l’extérieur qu’à l’intérieur du hangar. Pour en avoir le cœur net, une seule solution. Il file donc vers la porte de derrière, guette que personne ne le regarde et entre dans le bâtiment. Sa première réflexion est que ça pue. Il se hisse sur la pointe des pieds pour regarder dans les cages, et là, il les voit. Tous ses potes de la basse-cour. Ils ont grossi, mais semblent avoir perdu des plumes. Certains sont très sales et ont le bec cassé. Un gros bruit métallique retentit non loin de lui et il se cache sous un rayonnage.
Un bonhomme passe de cage en cage avec une grosse machine et une remorque, il attrape le bec et plante un long tuyau dans le cou des animaux. Il y a une sorte de mixture qui sort du tube et qui est directement injectée dans le pauvre volatile. Il voit bien qu’ils essaient de se débattre, mais rien n’y fait, ils ne savent pas déployer leurs ailes et le monsieur a l’air fort.

Sans faire de bruit, Tom rejoint la porte de l’atelier et se retrouve dans la pièce où travaille son père. Il regarde le canard qui est suspendu par les pattes et le reconnait. C’est son ami. Il ne bouge plus, un liquide rouge s’échappe de son cou. Dans le coin, près du sapin de Noël, son père plonge une lame dans les dépouilles pour prélever le foie de ces pauvres diables. Une pièce énorme, il ne pensait pas que cet organe était si gros et il trouve ça répugnant. Il court vers la sortie et se fait une promesse, plus jamais il ne mangera de foie gras.

4 réflexions sur “Le goût de la cruauté”

  1. Je ne pensais pas au début qu’il s’agissait de palmipèdes !!!
    J’ai dû relire les paragraphes précédents quand j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’humains.. Bien joué!! 😉

  2. Waouh ! Très intéressant cet exercice. Quelle différence entre le texte 1 et 2 ! Changement de point de vue total, qui apporte un angle bien distinct, et même si le sujet reste le même, le ressenti est différent. Je me suis fait avoir par ta première version, je n’imaginais pas que tu parlais du foie gras, et c’est un twist que j’aime particulièrement. Et puis, le sujet me parle, car je viens du sud-ouest, et je suis contre toute attente, végétarienne ! J’étais conquise.

    Merci pour ce partage et ces deux histoires, et bravo pour ton travail.
    Au plaisir,
    Sabrina

  3. l’expression perdre des plumes m’a mis la puce à l’oreille….ouf, j’ai été bien soulagée de savoir en court de route qu’il s’agissait de volailles mais…chemin faisant, ta description détaillée du traitement des oies m’a carrément révoltée et dégoûtée!Vue de l’intérieur ou de l’extérieur, le résultat est le même..on n’a plus du tout envie de manger du foie gras! Exercice réussi !

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