Héros malgré lui

Pour cette 37eme consigne, je devais produire un portrait. Je me suis inspiré de l’actualité pour écrire cette nouvelle. C’est donc l’histoire d’un homme face à un quotidien bousculé plongé dans une situation insolite au sein d’un univers particulier.

Bonne lecture !

Héros malgré lui

Daniel s’assit enfin dans la salle de repos, seul endroit qui n’avait pas encore été transformé pour les besoins de cette crise apocalyptique. Daniel Leloup, médecin-urgentiste, chef de service, bientôt trente ans de carrière n’avait jamais vu ça.

Il travaillait pourtant sans relâche pour œuvrer à la guérison des malades qui intégraient l’hôpital toutes les heures. Pas moins de cinquante patients par jour, c’était devenu le quota. Et la quasi-totalité repartait les pieds devant. Fort de ses années d’expérience, il savait que les gens de sa région ne venaient pas aux urgences pour rien. Mais il était démuni, devant expliquer aux personnes en souffrance qu’il ne pouvait plus les accepter, que les lits étaient tous pris. Des larmes se formaient quand il se retrouvait seul, sachant que ses concitoyens mouraient chez eux, sans aucune solution pour leur venir en aide.

Le docteur Leloup était un homme distingué, élancé, coiffé d’une belle chevelure noire et les tempes grisonnantes. Un homme charmant qui avait facilement le sourire aux lèvres et le bon mot pour mettre les gens à l’aise. Mais depuis quelques semaines, cette bonhomie caractérisée l’avait quitté, laissant place aux cernes, à l’aigreur, à la fatalité. Il ne comptait plus les jours de séparation avec sa famille ni les heures passées sur la brèche méprisant un sommeil ô combien justifié.

Lui qui aimait tant passer le dimanche après-midi à jouer au rugby avec son fils dans le parc du centre-ville, depuis quand n’y était-il plus allé ? Pourrait-il y retourner un jour ? Alors, tel un robot fantomatique, après quinze minutes de sieste, une prière et un café, il reprenait sa place dans l’arène. Exécuter les gestes d’habitudes salvateurs et aujourd’hui inutiles, mais garder une lueur d’espoir à l’esprit. Il voulait croire au fléchissement de la courbe. D’ailleurs les premiers patients guéris sortaient enfin de l’hôpital.

Le pire pour lui, c’est quand il rentrait à l’hôtel, après quarante-huit heures de permanence, pour sombrer dans un demi-sommeil tapissé des visages, de l’horreur des derniers jours. Il sillonnait les rues et voyait tous ces inconscients, ces cons finis qui devraient êtres confinés, défier la mort. Combien de décès provoqueraient-ils par leur conduite irresponsable ? À la radio, les journalistes annonçaient les chiffres, espéraient le remède, interrogeaient les experts, virologues et épidémiologistes, comme si quelqu’un détenait la vérité. Et puis, seul, dans le calme et l’obscurité de sa chambre, Daniel s’adressait à Dieu, suppliait de lui venir en aide, d’agir, de toucher les coeurs et soigner les corps. Ensuite il s’effondrait, physiquement à bout, la fatigue le gagnait enfin pour lui permettre quelques heures de répit.

Ce matin, une barbe naissante sur le visage, Daniel prit une douche, espérant laver la saleté du quotidien vécu jusqu’alors. Il jeta un regard furtif aux écrans disposés dans le hall, retransmettant les images de la veille. Des citoyens au balcon qui frappaient des mains, scandaient des bravos et jouaient de la trompette pour célébrer les héros de la Nation. Daniel restait perplexe. Quels héros, il faisait simplement son travail, son devoir, ce pour quoi il avait été formé, son gagne-pain. Hier, il gagnait trop, aujourd’hui, son salaire ne valait pas tous les risques encourus.

Le docteur Leloup n’avait plus aucune envie de plaisanter : madame Lanterre, une patiente qui devait se faire poser un pacemaker et qui a été reportée venait de décéder. Combien allaient encore périr, car ils n’étaient plus la priorité ? Avec le calme et la mine grave qui faisaient son quotidien, le chef de service décida qu’il était temps d’en finir avec cette façon d’agir. Trente minutes après son arrivée, une réunion exceptionnelle débutait dans la salle de repos. Son discours était posé et cohérent. Avec tristesse et désarroi, il dénombra les victimes du covid 19 durant les dernières vingt-quatre heures. Il cita les noms des confrères tombés au combat, déplora la mort des patients impactés par la cessation des activités ordinaires du centre hospitalier. Il restait digne. Si lui craquait, comment exiger des autres de rester parfaitement professionnels ?

Et c’est avec sobriété, conscient de l’impact et convaincu que son acte était l’attitude la plus responsable qu’il soit, qu’il décida de rompre le silence avec le monde extérieur. Les gens devaient savoir maintenant. Se préparer, se prémunir. Tant pis si le dernier avis émanant du ministère de la Santé publique demandait aux médecins de communiquer avec prudence et sans alarmer la population. Il s’assit à son bureau et rédigea un mail adressé à tous les médias de la région.

Un sentiment d’hésitation le parcourut au moment d’appuyer sur : envoyer. Une notification apparut alors sur l’écran : la livraison des masques tant attendus avait été volée. Dernier rempart qui pouvait limiter la catastrophe. Son doigt enfonça la touche instinctivement. Désabusé, écoeuré de la noirceur de certains hommes, du conservatisme des gouvernements, de l’hypocrisie et de la fragilité du sytème. Daniel se leva et se dirigea vers la zone de quarantaine pour faire son travail.

3 réflexions sur “Héros malgré lui”

  1. Roy Marie-Josée

    J’avais bien aimé ce portrait brossé d’un soignant en cette période très perturbée. Bravo.
    C’est pour moi un texte engagé, d’une personne qui est Libre de ses mots, de ses idées et qui utilise sa plume à bon escient:)
    Le rôle d’un écrivain est bien d’ouvrir les écailles de tortues qui aveuglent un trop grand nombre….

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