La jungle des hommes

Pour cette 36eme consigne, je devais écrire une nouvelle à partir d’un extrait du « Livre de la Jungle », en m’appropriant l’une des méthodes de création littéraire présentées dans la théorie de l’exercice, tout entière dédiée au recyclage littéraire.

J’ai choisi l’inversion, vous comprendrez rapidement en me lisant, en quoi cela consiste.

Bonne lecture !

La jungle des hommes

Tout ce qui est raconté ici est arrivé quelque temps après que Baloo eût été remercié par le cirque Bouglione mais avant qu’il fût congédié par Total Gas & Power. Tom Mowgli, jeune cadre dynamique de cette entreprise en plein essor était ravi de pouvoir enfin s’occuper de la formation d’un stagiaire différent. Grâce à ce dernier, et s’il manoeuvrait bien, il pourrait obtenir les faveurs du patron. Tom était juriste, et comptait bien devenir un des avocats incontournables pour défendre les intérêts de la société au niveau international. Pour l’heure, il fallait déjà s’occuper de la nouvelle recrue, qui bien qu’imposante semblait démunie face à la tâche qui l’attendait. Mais avoir un personnage tel que lui dans son équipe valait bien quelques sacrifices.

Alice Bagheera, une merveilleuse amazone du service RH, en provenance directe du commerce en ligne aimait venir observer comment se passait la formation de son favori. Elle restait quelques minutes, assise sur le bureau, les jambes croisées, la chevelure lâchée, à écouter sans lassitude tout ce que la masse de poil retenait des leçons quotidiennes de son mentor. Il savait se présenter dans plusieurs langues différentes, analyser les statistiques, répondre au téléphone et écrire avec un stylo. Les heures à potasser les livres de loi, Baloo ne les comptaient plus. Il connaissait les dernières grandes affaires de toutes les compagnies similaires à la sienne.

Un jour, alors qu’Alice était passée les saluer, Baloo avait la mine renfrognée. Pour cause, privé de pitance, il était de mauvais poil.

— Je sais que tu ne cautionnes pas ce genre d’agissement Alice, mais tout animal de nature sauvage soit-il, il doit se conformer aux us et coutumes des hommes.

— C’est toi qui vois Tom, tu es devenu un spécialiste maintenant. Même si je ne suis pas persuadée que priver de nourriture un être de 450kg, avec une mâchoire comme la sienne soit forcément la meilleure des idées.

— Il a à nouveau été retrouvé à quatre pattes, se délectant de l’eau de la cuvette des toilettes. Dois-je laisser un acte aussi dégradant sans suite ?

— Je perce les bouteilles en plastique avec mes griffes et je laisse échapper celles en verre de mes pattes à chaque fois. Demander un seau est mal vu, alors que dois-je faire ? J’en ai parlé au syndicat, j’attends des nouvelles, protesta l’ours.

Pareille sanction était déjà tombée par le passé, quand, sous prétexte de l’hibernation, on avait retrouvé l’animal faisant la sieste dans l’infirmerie.

— Ma réputation est en jeu, s’exclama Mowgli, je ne peux le laisser faire à sa guise. Je joue ma carrière. Quand j’aurai fini sa formation, il ne craindra plus rien de ses collègues, il aura les dents longues et sera prêt à affronter cette jungle tout seul. Pour ça, j’ai besoin qu’il soit rodé.

— Moi aussi je vais faire carrière, mais pas dans les affaires, dans la publicité, je ne t’ai pas attendu pour tirer mon épingle du jeu, minauda Baloo, tout en se faisant caresser le crâne par Alice.

— Que dis-tu ? Quelle publicité ? martela Tom.

— Celle que Anissa Naouai m’a proposé de tourner avec eux.

— Aniss… Tu n’as pas fait ça ? Tu n’as pas signé avec Greenpeace ?

Baloo se tourna alors vers Alice, elle le fixait avec un regard assassin. Tom gesticulait de rage, claquait les bibelots de son bureau.

— Mais ce n’est pas vrai, des mois que je le forme, que je l’éduque, que je l’humanise et il va tout bousiller, me réduire à néant en allant pactiser avec l’ennemi.

— Tu y vas fort là quand même ! reprit posément Alice

— Fort ? On les connaît chez Greenpeace, à la moindre occasion de nous mettre dedans, ils n’hésiteront pas une seule seconde. Tu penses peut-être qu’ils en ont quelque chose à faire de toi ? vociféra Tom. Tu penses que tu as été choisi pour ton talent d’acteur ou ta bonne bouille ? Tu n’as donc rien retenu ? Tu es un ours, dans un univers d’homme au sein d’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde et tu vas jouer à la baballe sur un bateau avec des pseudos écolos, qui seront ravis de nous soutirer quelques millions pour ne pas diffuser le clip. Tu es une femen à poil long, manipulée par le contre-pouvoir. Ni plus ni moins !

Tom eut à peine fini son discours que le téléphone se mit à sonner, les appels affluèrent de partout, la direction, la communication, la comptabilité, le bureau d’Anissa. Baloo se tenait avachi, les oreilles tombantes, le museau bas. Il sursautait à chaque sonnerie et éclat de voix de son maître de stage. Sur les écrans, devant lui, les images montraient une forêt, des montagnes, des rivières, des loups dans la nature et ensuite des machines, des derricks, des cheminées, des oiseaux morts et un ours en costume trois pièces avec une mallette à la patte. Le slogan qui défilait était sans équivoque : nous ne nous contentons pas de détruire la nature, nous l’exploitons au maximum !

Commentaire de l’auteur :

Evidemment, il a fallu faire un petit effort pour adhérer au postulat d’un ours qui parle et s’adapte aux humains. Mais il me semble que c’est tout aussi vraisemblable qu’un humain qui apprend la vie de la jungle avec des animaux sauvages ! Non ?

2 réflexions sur “La jungle des hommes”

  1. Toujours aussi  » émouvant » ce Baloo.
    Je suppose que tu ne l’as pas choisi par hasard !!

    Il fallait, non seulement y penser, mais encore, l’écrire.
    Continue de nous plonger dans d’autres univers par tes nouvelles, toujours surprenantes.

  2. J’ai eu du mal moi, par contre à suivre pour comprendre ce qui se passait. Mais c’était bien écrit. Prochaine fois, je ne te lirai point à minuit 02 :-).

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