Je me connais mieux que personne

Pour cette 39eme consigne, je devais rédiger une nouvelle en utilisant le registre comique. C’est évidemment un registre qui me tient à coeur. Mais cette fois, je n’ai pas eu le choix de l’orientation. Trois textes d’auteur étaient proposés et je devais choisir parmi eux pour ensuite imiter leur style :

« La tragédie d’un personnage » de Luigi Pirandello, basé sur l’autodérision et le comique de situation

« Les étrangers sont nuls » de Pierre Desproges, satirique et acide

« Ca peut se dire, ça ne peut pas se faire » de Raymond Devos, quiproquo et jeux de mots

Je me suis prêté à l’exercice en essayant de fusionner les 3 styles. Autant vous le dire, ma correctrice n’a pas du tout aimé et aurait souhaité que je retravaille mon texte en me cantonant uniquement à un seul. le développer et aller plus en profondeur. Etant maître de mes choix, je suis resté sur mon idée de départ et me suis amusé à glisser plusieurs niveaux de lectures différents. J’espère que vous y serez sensible. Je prends volontiers les critiques et si pour vous aussi, c’est un raté, je serai heureux de le savoir.

Dernière recommandation : si vous avez le second degré fragile, ne lisez pas ce récit…

Bonne lecture aux autres !

Je me connais mieux que personne

Ce qui m’arrive en ce moment me plonge dans une angoisse inouïe. Je me suis fait offrir par moi-même les Euphorismes de Grégoire Lacroix. Un livre majeur dans l’art de la pensée. D’ailleurs, je l’ai classé dans la catégorie philosophique de ma bibliothèque, juste à côté de la critique de la raison pure, c’est pour vous dire le culte que je lui voue. Kant je songe que vous, lecteurs, ne connaissez sans doute pas ce génie de la maxime, ce dieu de l’aphorisme, je m’alanguis dans un profond chagrin que seul un sommeil bien arrosé peut me faire oublier.

J’imagine votre mine stupéfaite à la lecture de ces quelques lignes et me propose donc de remédier à votre manque criant de culture. En grand seigneur, je vous jette une de ses citations, de celles qui me tourmentent inexorablement :

« L’ennui quand on ne fait rien, c’est que personne ne peut vous aider. »

Vous réalisez n’est-ce pas ? Non, évidemment. Sachez que, justement, je n’aime pas trop en faire. Par contre, je compte sur mon prochain pour qu’il agisse à ma place. Or, si j’en crois ce brave Grégoire, cette aspiration semble impossible. Je n’en dors plus depuis ! J’ai donc décidé de consulter d’autres grands auteurs et je suis tombé sur le plus célèbre d’entre tous : Edme de La Taille de Gaubertin, dit le chevalier de La Taille, jardinier à Versailles au XVIIIe, mais non pas arrondissement. Il a écrit ceci :

« La seule personne sur laquelle on ne doit compter en ce monde, c’est sur soi-même. »

Alors ? Essayez de suivre mon raisonnement, si vous le pouvez ! Le premier me dit que mon oisiveté ne rend pas mon entourage productif et le second que je ne peux compter que sur moi-même. Mais moi, c’est sur les autres que je veux compter, pour ne justement pas trop en faire moi-même. Comprenez-vous cette fois la nature viscérale de la torpeur qui me gagne ?

Je souhaite simplement retrouver ce sentiment de plénitude et de supériorité qui me plaît tant. Ce despotisme amical envers mes semblables qui me renvoient l’image du tyran admiré. Voilà comment je m’aime, sans états d’âme ! Restauré par cette pensée agréable, je tente à nouveau de sombrer dans les bras de Morphée. Me revient alors une phrase de Fredrika Bremer, dans un de ses romans dont le nom m’échappe et infusé de féminisme tapageur :

« Ce que je trouve de plus insupportable, c’est un homme ravi de sa propre personne. »

Ah non ! Je commence enfin à me sentir mieux et cette vieille bique activiste vient détruire ma reconstruction intérieure. À bout de nerfs, j’ai besoin de légèreté. Je me tourne vers le meilleur écrivain comique que je connaisse, ce poète qui continue à faire pleurer de rire des salles entières lors de l’adaptation de ses œuvres au théâtre ; vous l’avez sur le bout de la langue vous aussi : Shakespaere, tout à fait ! Dans son illustre fresque historique « Henriad », que vous avez sans doute déjà dévorée, on retrouve ceci :

« L’homme qui ne s’aime pas lui-même ne peut aimer personne. »

Et paf ; dans la binette de la femen suédoise, entartée la Bremer ! Et de fait, elle me trouve peut-être insupportable, mais William, il me dit que je dois m’aimer pour que les autres gèrent mes problèmes à ma place, enfin à peu de chose près. Je peux fermer les yeux. J’ai raison de ne rien faire sauf aimer autrui, de sorte qu’il me le rende bien en travaillant pour moi. Mais cette réflexion nocturne a réveillé le mélomane qui sommeillait en moi, le chanceux.

Je décide alors de me préparer une tisane et de passer un peu de musique apaisante. Vous comprenez, à trente-sept ans, on ne dort plus comme à vingt. N’est-ce pas ? Les posts quarantenaires qui me lisent le confirmeront. Je choisis donc un morceau à la fois riche en harmonie et doux à l’oreille : « Du côté de chez Swann ». Ce bon Dave ! Le défenseur de la cause homosexuelle canine, avec une coiffure de playmobil peroxydé, des yeux vitreux et un accent pourri. Toujours là pour remonter le moral, forcément, quand on le voit, on se dit qu’il y a pire que nous. Mais le choix du titre en question se révèle catastrophique, à peine le refrain entamé, les phrases du roman éponyme de Marcel Proust se bousculent dans ma tête :

« On n’aime plus personne dès qu’on aime. »

C’est une tragédie ! Quel con ce Proust. À croire qu’il n’a jamais lu Shakespeare. Comment s’aimer soi-même si dès qu’on aime, on n’aime plus personne ? Et si je ne m’aime pas moi-même, je ne peux pas aimer les autres. Je suis pourtant obligé de les aimer. Sinon, ils ne m’aimeront pas en retour et ne s’occuperont plus de ce qui m’épuise inutilement. Ce dilemme me pourfend de haut en bas sans que personne ne puisse rien y faire. Et si personne n’y peut rien, je ne peux pas m’aider. Je ne me soumettrai pas à cette conclusion irréfragable.

Après tout, je me connais mieux que personne. Ce n’est pas une bande de pseudos écrivains en manque d’amour propre qui saliront mon esprit. La tisane bue et Dave soigneusement déposé dans le vide-ordure, je regagne mon lit, réconforté à l’idée que personne ne me fera changer d’avis. C’est avec un sourire satisfait au coin des lèvres que je m’endors enfin, car personne ne m’entendra ronfler cette nuit.

Si mes réflexions crépusculaires vous ont égarés et mes turpitudes sciemment arrogantes ont dépassé les limites de votre sagacité. Je comprends volontiers que vous ne vouliez plus faire partie de mes lecteurs assidus. Il me reste alors une seule chose à vous dire, et c’est sous la plume de celui que j’ai souhaité vous présenter dès le début de ce récit que je vous la livre :

« Qu’une personne vous manque est moins grave que de ne manquer à personne. »  Grégoire Lacroix

9 réflexions sur “Je me connais mieux que personne”

  1. I. Toujours aussi caustique mon cher West son ! J’adore ta prose et ton humour! Tu pourrais en faire un sketch à proposer à quelqu’un qui s’exprime sur les planches ! Ou alors à faire toi même si c’est ton truc ! Merci pour ces posts que je lis avec toujours beaucoup de plaisir . À bientôt Alix

    1. Coucou Alix,

      Merci beaucoup pour ce commentaire bien sympathique ! Ecrire pour un humoriste, qui sait, un jour peut-être… hahaha

  2. Alors là …chapeau !
    Autodérision, acidité, références ! tout y est !
    J’ai cru entendre Raymond Devos dans le paragraphe  » on n’aime plus personne dès qu’on aime ».
    la lecture de cette nouvelle était  » amusante » et m’a fait beaucoup sourire.
    Bravo

  3. bravo mon fils, tu sais que mon autodérision n’a jamais beaucoup été comprise, j’espère que les autres aimeront la tienne, moi j’ai adoré.

    1. Pour un bon rendu à l’écrit, il y a encore du travail mais ne suis-je pas sur mon banc d’essais ? Merci pour ton soutien ma belle.

  4. Verve au gout acide, bonnes références . Hormis Raymond Devos qui est un virtuose des mots je suis asez dificile pour le choix des humoristes.
    Continue Ben bravo.

  5. Bonjour Mr West,

    J’ai bien voulu répondre à votre dilemne, car j’avais la certitude de vouloir signifier que… mais je me suis rappelé un ami polonais, un proverbe, qui me disait toujours « pour croire avec certitude, il faut commencer par douter ». Alors j’ai douté de ma réponse, et me suis souvenu d’un autre vieil ami, Dante, qui affirmait toujours, après deux ou trois suzes, « autant que savoir, douter me plaît ». Alors, je ne vous répondrai point, et vous laisserai dans le doute de ce que j’en ai bien pensé de toute cette 39.

    Belle journée à vous,
    Sabrina

    PS : apprécié de bout en bout ! Vive la rébellion 🙂

    1. 🙂 🙂 🙂

      Merci pour ton commentaire et d’avoir tout compris, ça fait plaisir !
      A très vite, je dois passer commenter sur entre les lignes aussi moi, allez hop hop hop !!!

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