Le trip de trop

Pour cette 35eme consigne, je devais bâtir une histoire partant du mixage de trois extraits imposés. Il s’agissait de repérer des éléments et de les combiner au service d’une création. Le résultat est évidemment très loin des textes supports mais c’était là tout l’enjeu. Dégager un récit propre inspiré par des éléments empruntés ailleurs.

Un auteur est avant tout un lecteur, au gré des différents livres, romans, articles du moment, la conception de son écriture s’en retrouve impactée. Cet exercice permet de le conscientiser et de s’en servir.

Bonne lecture !

Le trip de trop

Putain ça y’est ! Je la sens monter en moi. L’extase, ce fluide qui traverse mon corps, qui me réchauffe les membres. Saloperie de neige ! Heureusement que j’ai ma poudreuse pour vivre ces soirées d’hiver froides et noires. Je me sens bien. Ce sera la dernière fois, mais en ce moment, je suis au paroxysme du bien être. Allongé contre la pierre gelée, un feu glacial brûle en moi. Avec les saloperies de virus, le nucléaire, la pollution… je préfère choisir !

Quand je pense à Bronco, quel con celui-là. Toujours affublé de son pantalon à franges, son grand chapeau de feutre et ses santiags. Tout droit sorti d’un western. Je l’aimais bien ce mec. On a passé dix ans à ratisser les bourges ensemble. C’est pas rien dix ans. On a fait un sacré bout de route tous les deux. Puis il s’est pris une balle. Une sale histoire. Un branque qui avait une arme chargée dans sa Bentley. Vous y croyez vous ? Un papy avec les marmots à l’arrière qui sort un pétard en pleine journée. C’était devenu difficile d’être un truand. Mais putain, buté par un vioc en plein jour, il méritait mieux le Bronco.

Il ressassait toujours qu’une fois qu’il aurait suffisamment d’oseille de côté, il s’achèterait sa ferme, son ranch. Des terres à perte de vue, une plaine immense avec des chevaux et des troupeaux de bétail partout. Il a juste eu droit à une urne en aluminium et un article dans le journal local du bourg où il s’est fait refroidir. Après ça, j’y ai été mollo sur les cars-jackings. J’ai intégré une bande de junkies qui s’amusait à refaire le monde tous les soirs et qui rackettait les vielles à la sortie des supermarchés. Putain, si mon vieux savait.

Fallait le voir se pavaner le daron, directeur d’une grande banque bruxelloise. Un fils à Saint-Louis, une fac de droit prestigieuse. Il avait bien dégringolé de sa tour d’ivoire quand il avait appris que je m’étais fait gauler pour avoir dealé de la beuh aux abords du bahut. J’en avais rien à foutre de l’examen du barreau moi. Je voulais être ébéniste, mais ça, pour ce cul serré, c’était impensable. C’était juste bon pour mon pote d’enfance, Rémy. Un lardon de garagiste qui faisait menuiserie, c’était raccord au moins. Puis comme ça, en plus de profiter de la gentillesse du padre et ses connaissances en mécanique, mon père pourrait aussi entuber le gamin pour lui faire un abri de jardin sans rien raquer.

Putain, Rémy, il me manque aussi ce blaireau. Quand je repense à nos courses de caddies sur le parking du champion. C’est Prost ou Senna qui gagnerait ? On avait même pensé à accrocher des rétroviseurs chromés de motocyclettes sur nos F1 à roulettes. Rémy les avait chouravés dans le bouge de son paternel. J’y suis retourné sur notre piste favorite. Le magasin a été rasé, il ne reste qu’une campagne dévastée. Comme si un bombardier avait effacé les lieux de mon enfance. Le peu de joie qui me reliait encore à l’existence.

Alors voilà, je suis sans doute à la fin du parcours. Les potes et les gonzesses qui ont vraiment compté sont tous cannés. Ma famille préfère ne pas se soucier de mon existence et se contrefiche de savoir ce que je deviens. Mourir avant eux les arrangera, ils n’auront même pas besoin de me déshériter. Je retiens de cette vie de merde, l’amitié et la tentative d’amour. Plus compliquée à réaliser que la tentative de suicide. Pour mettre en scène l’amour, il faut s’assurer que sa partenaire joue le jeu, ne se fout pas de votre gueule. Comme cette salope de Thérésa.

J’ai rencontré cette garce à l’époque où on distribuait du shit partout. Suffisait d’ouvrir le frigo pour en trouver entre deux briques de lait. C’était facile à l’époque, on pouvait, fumer, niquer jeter des pavés, rien ne nous était reproché. Une nouvelle vague. Mon cul oui… Un putain de tsunami ! Ils se sont bien foutus de notre tronche les politicards. Au final, on peut plus rien dire, rien faire, on est payé une misère pour faire un taf de merde et le monde part en couille. Trop d’excès qu’ils ont dit ! Ils ont juste laissé faire un moment pour avoir une bonne raison de resserrer l’étau. Quelle bande de couillons on était. Heureusement que je lui ai pas collé un rejeton dans le tiroir-caisse à la Thérésa.

Une épave, voilà ce qu’elle m’a dit en se barrant. T’es une épave ! Quand je l’ai ramassée à moitié morte dans le caniveau, c’était qui l’épave ? Conasse. Mais c’est sûr que dans mon monde, soit on se fait buter par un grand-père qui confond sa caisse avec un panzer de 40-45, soit on dérouille au fond d’une cave à cause d’une dope pourrie. Alors à choisir, autant s’envoyer une dernière fois en l’air avec de la bonne. On pourra dire ce qu’on veut, mais le port d’Anvers et ces raclures de Colombiens savent y faire.

Bronco a rué une fois de trop dans les brancards. Rémy s’est marié, il a fondé une famille et m’a demandé de ne plus venir crécher dans le king size de la chambre d’ami qu’il a fabriqué de ses mains. Thérésa est en cloque, mais le bâtard est pas de moi, c’est une certitude. Mon père est sans doute affairé avec des gens importants à signer des contrats pour des projets encore plus importants. Ma dernière pensée s’envole vers ma merveilleuse petite maman.

La chaleur qui envahit mon être me rappelle ses douces caresses du soir. Ce que j’aimais quand elle venait me border, me racontait une histoire, me chantait une berceuse. Elle sentait bon, sa voix douce et tranquille me rassurait. J’étais sa fierté, son héros. Putain de cancer. J’arrive maman, je viens te retrouver. Tu es la seule personne qui ait vraiment compté pour moi, qui me comprenait. Cette chienne de vie t’a arraché à moi bien trop tôt, mais c’est fini, j’abandonne. Allez tous vous faire foutre !

3 réflexions sur “Le trip de trop”

  1. Putain !

    J’ai adoré ton histoire mec. J’ai replongé, je t’ai suivi, et j’me suis pris une claque. On erre tous sur cette planète qui tourne pas rond et au final, on revient toujours à la même chose, drôle de bocal. Flot d’émotions.

    Ahah !!
    J’ai ADOOOOOOOOOOOORééééé ! Je sors d’un texte qui s’apparente tout à fait à ce style brut, avec un décor bien planté (Les Maraudeurs de Tom Cooper, qui se passe dans le bayou avec des récits de bras cassés et d’hommes fêlés).

    C’était quoi les extraits de textes ?
    Au plaisir, toujours ! Bravo pour cet exercice, à mon sens, très réussi.
    Sabrina.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!
Retour en haut