Les Zwanzeurs de l’espace

Pour cette 33eme consigne, je devais revisiter un texte en osant des mélanges littéraires insolites. J’étais libre de partir d’un récit du catalogue de la formation ou de l’une de mes productions. J’ai choisi la deuxième option. J’ai donc apporté des améliorations au niveau du style, de la structure, de l’angle ou du registre. Le texte de base est : « rencontre naturelle ». Je l’ai joins à la suite de ma nouvelle, ainsi qu’une petite analyse de mon travail de réécriture. J’espère que vous apprécierez.

Bonne lecture !

Les Zwanzeurs de l’espace

Greta se sentait chanceuse, cette planète était fantastique, mieux que tout ce qu’elle avait pu imaginer dans ses rêves les plus fous. Les conversations étaient tellement intéressantes autour de la table. Hier encore, elle ne se serait jamais imaginée cette situation.

— Non, mais vise un peu ça, la terre n’est qu’un énorme amas de cendres et d’eau, je n’en reviens pas, se consterna Stouff en regardant par le hublot.

— Perso, je l’avais dit, rares sont les espèces qu’on a laissées gérer et qui sont parvenues à s’en sortir, répondit Fafoul

— Ils ont quand même tenu trois stryganes1, c’est pas mal.

Le vaisseau entra dans l’atmosphère et atterrit sur une plage désertique à côté d’une épave échouée. Les deux acolytes en descendirent et passèrent les alentours au scanner. Ils étaient tous deux : grands, élancés, mais n’avaient pas de cheveux. Ils portaient une combinaison rouge et blanche qui semblait épouser leur corps à la perfection.

— Stouff, tu peux envoyer un message sur Zwanze : aucune menace, juste les rescapés à l’intérieur du rafiot.

— Zwanze, ici éclaireur de midi ! L’opération Noé bis est en bonne voie !

Fafoul tendit alors le bras vers la carcasse du bateau et un laser sortit de sa main. Il dessina une porte en découpant la tôle. Une tête apparut timidement.

— Ne crains rien Greta, nous sommes des Zwanzeurs. Notre race gouverne la moitié sud de l’univers. La Terre fait partie de notre territoire spatial, elle nous appartient, nous venons en ami.

La sexagénaire sortit la première, elle avait persuadé un groupe d’individus de la suivre dans son arche. Cette troupe de survivants était unique en son genre, car elle était composée d’hommes et de femmes qui s’étaient battus toute leur vie pour sauver la planète.

— Nous sommes venus vous proposer de nous suivre. Toute espérance de fonder à nouveau quelque chose sur Terre est illusoire. La nature doit reprendre ses droits avant de pouvoir coloniser à nouveau cet endroit, informa Stouff.

Il n’en fallut pas beaucoup plus pour les convaincre de monter dans l’appareil. Ils emportèrent quelques souvenirs et après avoir jeté un dernier regard à leur terre natale, les humains se sentirent plaqués dans leur siège. La navette quitta la stratosphère et disparut dans l’immensité de l’espace en un éclair. Greta se réveilla dans une odeur pestilentielle.

— Nous arrivons, précisa le pilote.

— D’où provient donc cette puanteur ? demanda Greta.

— Désolé, c’est moi, réagit discrètement Stouff. Ce sont les choux de Bruxelles que j’ai trouvés dans vos réserves, je n’aurais pas dû en manger, j’adore ça, mais ça me donne des flatulences.

Greta fit quelques pas vers la baie vitrée du poste de commandement. Elle se figea en découvrant le cadre luxuriant qui se dressait devant elle. Des arbres géants, avec des protubérances au niveau du tronc qui ressemblaient à des appartements d’architecture futuriste.

— C’est le paradis ! s’exclama-t-elle.

— Bienvenue sur Zwanze, mais le paradis, c’est vite dit, et puis c’est un concept de terriens. Ici ça ne veut rien dire. D’ailleurs, tu verras quand même plus de hanches et de seins que d’anges et de saints, s’esclaffa Fafoul.

— Oui, vous avez vos retraites spirituelles pour raviver votre foi et nous avons nos retraites avec spiritueux, pour raviver notre foie aussi, enchérit Stouff.

L’engin s’immobilisa. Les portes s’ouvrirent et ils sortirent sur une petite plateforme. Une sphère vitrée, dotée de quatre sièges, était amarrée à la branche de l’arbre.

— Tu viens avec nous Greta, les autres vont aller s’installer dans leur logement, mais toi, tu as un dîner qui t’attend.

Elle s’installa à l’arrière de la capsule, impressionnée par le vide au-dessous d’elle. Elle n’avait jamais rien vu de pareil, quelle était donc cette matière ? Pas de rivet, pas de soudure, la coque était moulée en une pièce. Du verre ? Trop fragile ! Du plexi…

— C’est du lacryma, ce sont nos arbres qui sécrètent cette matière organique. On  peut la modeler comme on veut, et surtout, on peut communiquer avec elle.

La voix de Stouff venait d’interrompre les pensées de Greta et lui avait donné la réponse à ses questionnements. Elle continua à scruter l’intérieur du petit engin qui les transportait.

— Il n’y a pas de tableau de commande, s’étonna-t-elle.

— Comme je te l’ai dit, nous communiquons avec cette matière.

— Mais comment ?

— Par la pensée, nous sommes en complète osmose avec la nature, nous prenons soin d’elle et elle de nous.

Le véhicule se détacha de sa ventouse végétale et se mit à voler entre les branches. Durant le trajet, la terrienne fut émerveillée. Pas une route bétonnée, par une maison en brique, pas un seul cours d’eau rectiligne, pas de colonne de fumée sortant des usines…

Il se dirigea ensuite vers une colline et se posa sur un plateau. À quelques mètres, une table végétale et des tabourets ressemblant à des souches étaient disposés. Un peu plus loin, une créature à six bras faisait cuire des boules de pâtes au moyen d’une plaque minérale posée sur une tourelle rocheuse dont sortaient des flammes.

— Notre induction à nous, mais au gaz VRAIMENT naturel… s’amusa Fafoul.

— Pourquoi inventer de l’éphémère, lorsqu’il suffit de demander à la nature de nous aider à créer du durable ? ajouta Stouff.

— C’est pour ça que je suis là n’est-ce pas ? Pour apprendre qu’on peut gérer les ressources autrement.

— Oui, nous réitérerons l’expérience sur Terra, quand elle sera à nouveau accueillante, je te le promets. Mais considère ton séjour ici comme un stage, une école, un apprentissage, déclama fièrement Fafoul.

— Tu ne seras pas seule, car d’autres expériences sur d’autres planètes ont échoué. Tu vas rencontrer tes semblables Greta. Parfois avec plus de poils aux pattes et moins de poitrine, mais ce sont des êtres, qui, comme toi ont essayé de changer les choses.

— J’ai plein de questions, mais allons manger, j’ai l’estomac dans les talons.

— Il faudra que je révise mon cours d’anatomie humaine, je ne me souviens pas de ce cas de figure, soliloqua Stouff.

1 Une strygane = 1 447 236 années

Analyse :

J’ai cherché à marier le style comique, humoristique avec la science-fiction. J’ai voulu garder le sujet de fond de ma première publication, mais le partager avec plus de légèreté. La précédente version avait un côté moraliste qui est plus nuancé ici. La cocasserie commence avec le choix de Greta (Thunberg) comme égérie, la camper en élue du peuple Terrien. Ensuite les protagonistes qui l’accompagnent, Stouff et Fafoul, ils sortent du lexique savoureux Bruxellois. Et ça change de cet être quasi parfait qu’était Ophélia dans la première mouture. J’ai également inventé une unité de temps, la Strygane et une matière, le lacryma.

Lexique Bruxellois :

– Fafoel et Stoeffer : Vantard, frimeur, rigolard, goguenard…

– Zwanzeur : gros blagueur

C’est une façon de faire un clin d’œil à mes origines.

Par rapport à la structure du texte, j’ai ajouté un premier paragraphe qui livre la scène de fin du récit. Et évidemment, semé ça et là des effets de comique de situation ou des jeux de mots.

 

Texte d’origine : « Rencontre Naturelle »

L’expérience humaine est un échec. La terre a repris ses droits et a mis fin au massacre de ses ressources… elle avait été programmée pour ce cas de figure. L’homme : cinq millions d’années d’évolution pour découvrir seulement dix pour cent de ses capacités. Sa soif de posséder, son individualisme, la recherche de la réussite personnelle au lieu du partage collectif ont conduit cette créature archaïque à sa perte. Un échantillon de la population, qui semblait avoir développé des sentiments plus nobles, a tout de même été sauvé et transféré sur Nature S.

Une musique douce enchanta les oreilles de Sabine. Une brise légère vint caresser son visage. Elle s’étira, ouvrit les yeux et découvrit une coupole en verre au-dessus d’elle, englobant le matelas sur lequel elle était allongée. La paroi vitrée se sépara et un escalier vint s’ajuster sous son pied alors qu’elle glissait sa jambe hors du lit. Tout était confus dans son esprit. Quelques images du drame lui revinrent en mémoire, elle ne ressentait bizarrement ni tristesse, ni peur.

Des vêtements étaient étalés sur un canapé flottant. La jeune femme les essaya. Ils épousaient parfaitement les courbes de son corps. Elle n’avait jamais porté cette matière auparavant, c’était très confortable. Elle fit quelques pas vers une baie transparente. Sabine se figea en découvrant le cadre luxuriant qui se dressait devant elle. Des  arbres géants, avec des protubérances au niveau du tronc qui ressemblaient à des appartements d’architecture futuriste. Elle ne put s’empêcher de penser qu’elle était au paradis.

— Le paradis ? Voilà bien un concept de ton monde… gloussa une voix enjouée.

Sabine fit volte-face ! Une femme magnifique, brune, les yeux vert émeraude, élancée, un nez fin, de petites oreilles et un sourire mutin avançait vers elle.

— Qui êtes-vous ? J’ai parlé à voix haute ? Et où suis-je d’abord ?

— Doucement, nous avons le temps pour répondre à toutes tes questions.

Les lèvres de la belle inconnue n’avaient pas mû. Sabine aperçut de fines ouvertures dans le cou de son interlocutrice.

— Comment avez…

— Je peux lire tes pensées et parler directement à ta conscience ! Et oui, je suis munie de branchies… Je m’appelle Ophélia, je suis une Naturelle : c’est un des plus vieux peuples de l’univers.

L’autochtone saisit la main de Sabine.

— Tu n’as vraiment rien à craindre de moi. Nous t’avons sauvée des flammes sur Terra. Tu étais inanimée, le bâtiment allait s’écrouler sur toi, nous sommes donc intervenus et t’avons amenée ici, sur Nature S.

— Mes jambes ! Je ne pouvais plus les bouger, elles avaient été broyées par…

— Nous t’avons guérie de ça, et du reste aussi. Tu vas profiter de notre médecine désormais. Mais commençons par manger, tu dois avoir faim ! Nous pourrons faire plus ample connaissance en chemin.

Elles sortirent sur une petite plateforme. Une sphère vitrée, dotée de quatre sièges, était suspendue au-dessus du vide, fixée par une espèce de ventouse à la branche de l’arbre.

— Vous aimez le verre ici ! s’exclama Sabine

— C’est du lacrima, ce sont nos arbres qui sécrètent cette matière organique. On  peut la modeler comme on veut, et surtout, on peut communiquer avec elle.

Sabine observa alors l’intérieur du petit engin qui les transportait.

— Il n’y a pas de tableau de commande, s’étonna-t-elle.

— Comme je te l’ai dit, nous communiquons avec cette matière.

— Mais comment ?

— Par la pensée, nous sommes en complète osmose avec la nature, nous prenons soin d’elle et elle de nous.

La capsule sphérique se détacha de son amarre végétale et se mit à voler entre les branches. Sabine était émerveillée. Les gens semblaient vivre en totale harmonie entre eux et avec les éléments, comme si toute cellule vivante avait son utilité spécifique bien connue et que chacun la respectait. Le véhicule atteignit bientôt la cime de l’arbre et sortit du feuillage. Vu d’en haut, le paysage était encore plus féerique. Pas une route bétonnée, par une maison en brique, pas un seul cours d’eau rectiligne, pas de colonne de fumée sortant des usines…

L’engin se dirigea vers une colline et se posa sur un plateau à proximité d’autres vaisseaux. A quelques mètres, une table végétale et des tabourets ressemblant à des souches étaient disposés. Au loin, une créature à six bras faisait cuire des boules de pâtes. Une plaque minérale posée sur une tourelle rocheuse dont sortaient des flammes lui servait de gazinière.

— Pourquoi détruire et polluer pour inventer n’est-ce pas ? Lorsqu’il suffit de demander à la nature de nous aider à créer… souffla délicatement Ophélia

— C’est incroyable…

— C’est pour ça que tu es là… Pour apprendre qu’on peut gérer les ressources autrement. Nous réitèrerons l’expérience sur Terra, quand elle sera à nouveau accueillante.

Toutes les croyances de la terrienne s’évanouissaient. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’être admirative. Elle parlait à son… créateur !

— Ophélia, pourquoi avoir laissé les choses se gangréner ? Pourquoi ne pas être intervenus plus tôt ?

— L’expérience aurait été tronquée avec notre intervention. Nous devions vous laisser faire, sans dictat, sans vous influencer d’une quelconque façon. Nous ne détenons pas la vérité absolue. Une autre intelligence, évoluant dans un environnement différent peut nous apporter beaucoup.

— Alors pourquoi son extinction ?

— Nous ne sommes pas directement responsables. Comme l’homme, les matières organiques de la Terre suivent leur propre destin, réagissent pour survivre.

— Donc pas de seconde chance ? Pas de coup de pouce pour nous aider à vivre en harmonie avec la nature ? Alors que c’est le fondement de votre peuple ? aboya-t’elle.

— Si… nous sommes en train de le faire ! Observe les convives autour de la table. Vous êtes Terra 2. Vous avez été sauvés grâce à vos valeurs. Nous croyons qu’avec votre expérience ici, dans quelques temps, vous pourrez démarrer une nouvelle civilisation sur votre planète. Avec plus de réussite je l’espère.

Sabine resta silencieuse, elle avait beaucoup de questions, mais elle avait le temps maintenant.

3 réflexions sur “Les Zwanzeurs de l’espace”

  1. Coucou, Ben,

    Indépendamment de la consigne, je trouve que cette nouvelle révèle une superbe progression du style et de la construction du récit.

    J’adore les références au langage et à la nourriture « bruxellaires ». Je me réjouis de lire ta C39, pour te voir exploiter au maximum ces jeux de mots que tu manies à merveille.

    Bises, @+++

    Béa

    1. J’ai reconnu ton humour et le plaisir que tu as à jouer sur les mots…je me suis dit en lisant : ça c’est du Ben!
      C’est agréable à lire . L’atmosphère est plus légère que dans la première version. Je préfère celle là.

  2. Bonjour Ben !

    Excellent travail de réécriture ! La deuxième version est en effet plus enlevée, plus orginale, et plus drôle, ce qui n’empêche pas le message de passer ! Bref, pour moi, une réussite, je trouve que c’est une manière de raconter qui révèle tout ton potentiel ! Et puis, j’ai appris le « bruxellois » 🙂 !

    C’est drôle où les nouvelles versions nous mènent, j’en suis à ce stade pour mon recueil, et c’est passionnant (mais long 🙂 )

    Belle journée à toi,
    Sabrina

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