La main de Dieu

Pour cette 25eme consigne, je devais écrire une nouvelle sous forme d’une lettre adressée à un commissaire à propos d’un livre tueur vendu sur Ebay, portant comme sujet : « Coena Cypriani ». L’exercice consistait à faire quelques recherches et monter une histoire qui tienne la route. Un plaidoyer sur les raisons de la mort inéluctable qui touchait les acheteurs de ce livre.

Pour le reste : le ton utilisé, le style, le déroulement, j’avais carte blanche. Je dois avouer que c’est la consigne qui m’a demandé le plus de temps de construction et d’élaboration du plan d’écriture. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à la rédiger.

Bonne lecture !

La main de Dieu

M. le commissaire,

Quand vous lirez ce courrier, j’aurai rendu mon dernier souffle et vous serez prisonnier dans les geôles de la place Saint-Pierre. En écrivant ces quelques lignes, je soulage mon âme et apaiserai sans doute la vôtre. Cela concerne la Coena Cypriani. L’affaire sur laquelle les enquêteurs du monde entier piétinent depuis dix ans. Celle-là même qui a occupé une partie de votre carrière.

Vous le savez, depuis 1929, année de l’indépendance du Vatican, la cosa nostra a rendu de petits services pour le bien de l’empire catholique. Après avoir étudié les méthodes des professionnels durant vingt-cinq ans, une confrérie secrète de « liquidateurs » a été créée au sein même de la cité, pour résoudre les cas délicats : la manus Domini, la main de Dieu. Ce service m’a repéré et recruté durant un séminaire. J’avais vingt ans. Nous avons reçu pour mission de remonter la piste de cet écrit sulfureux et de le faire disparaître. Laissez-moi vous en conter l’histoire, car tout a commencé il y a fort longtemps.

Carthage, l’an 257, Cyprien est Évêque de la région. Grand spécialiste et traducteur des textes bibliques, il reçoit des manuscrits des quatre coins du pays. Un jour, un rouleau fait état d’une curieuse anecdote. Un serviteur présent lors du dernier repas du Christ le décrit sous un angle jusqu’alors méconnu : des vols, de la débauche, de la violence se déroulent durant la Cène. Le religieux prête attention à ce texte car certains détails sont véraces et le dialecte utilisé est celui des domestiques de l’époque. Cyprien décide que ça ne doit pas être étalé au grand jour sans en avoir référé aux plus hautes instances. Ce qu’il n’aura jamais le temps de faire car il meurt l’année suivante.

Les affaires personnelles de l’évêque sont conservées comme reliques et voyagent de chapelles en monastères jusqu’en 803, à l’abbaye de Fulda, alors dirigée par Raban Maur. Théologien, philosophe et prêtre, ce dernier s’intéresse à l’histoire du catholicisme. Il traduit à son tour, le texte de Cyprien et la lettre explicative qui l’accompagne. Raban est proche du Pape et ce dernier est son seul supérieur. Il apporte les écrits explosifs à Léon III en toute discrétion. Ensemble, ils décident de taire cette révélation et lancent une rumeur sur la circulation de textes humoristiques, ironisant sur certains passages de la Bible. L’auteur serait un dénommé Cyprien, sans doute le poète gaulois du Ve siècle.

L’affaire est entendue, il faut enterrer ce secret. Les quelques bénédictins dans la confidence promettent de ne jamais divulguer cette information. Mais celui chargé de détruire l’original ne peut s’y résoudre et le conserve dans la bibliothèque de l’abbaye. Il y reste huit cents ans. En 1631, pendant la guerre de trente ans, le Duc Christian brûle et pille l’abbaye. Plus aucune nouvelle de l’apocryphe pendant des siècles.

L’aveu qui suit va faire l’effet d’une bombe à retardement, mais la libération de ce joug insoutenable exalte mon coeur. En 1978, soit dix ans après mon engagement, le Vatican reçoit une lettre avec copie du texte, et la menace de faire éclater ce secret au grand jour. Le pape de l’époque, fraîchement élu, décide de ne pas succomber au chantage et de publier le texte. Il espère la clémence des fidèles. La sentence tombe, il doit être écarté. La mission m’est confiée. Elle restera la plus douloureuse de ma carrière. Je me charge de lui durant son sommeil. L’arrêt cardiaque est prononcé au petit matin. Son pontificat aura duré trente trois jours. Je le confesse, je suis l’assassin de Jean-paul I.

Notre service a ensuite remonté la piste de l’expéditeur et nous l’avons supprimé également. Pour nous, la page était tournée. Quelle ne fut pas notre surprise, lorsqu’en 2008, une copie du livre se retrouva en vente sur Ebay. Le temps de pirater l’adresse IP du vendeur, le mal était fait. Près de deux mille cinq cents personnes ont échangé sur le sujet à travers le monde. Entre-temps, j’étais devenu responsable de la manus Domini. Depuis lors, mon unique mission est de retrouver et d’effacer toute personne ayant été en contact, de près ou de loin, avec ce livre.

A cet instant, je sais qu’une question vous taraude : comment m’y suis-je pris ? Depuis cinquante ans, ma signature : le chlorure de potassium. Une injection bien dosée provoque un arrêt cardiaque instantané. Inhalé, il agit en vingt minutes et avalé, le double. Pour le détecter, une autopsie est indispensable, ce qui se fait de plus en plus rarement dans le cas d’un infarctus. De plus, elle doit être exécutée dans les septante-deux heures, sinon, plus de trace. Et si on retrouve du KCL dans le sang, nombre de médicaments en comportent en petite dose et la conclusion est souvent le mauvais dosage.

Quant à la manière : la piqûre dans les orifices, les muqueuses ou sous les ongles de pieds reste la moins détectable mais la plus compliquée, par la proximité avec la victime. Heureusement aujourd’hui, les moins aguerris du groupe, peuvent profiter des systèmes de ventilation ou d’air conditionné pour le répandre rapidement dans une pièce. Ou remplacer une bouteille d’eau, dans le frigo, par le cocktail mortel.

J’ai la mort de trop d’innocents sur la conscience et je doute que les visages des victimes que j’ai assassinées cessent de me tourmenter. Je pense toujours que ce projet était juste. Il faut protéger l’Église et maintenir un équilibre dans le monde. Mais j’ai besoin de m’en aller repenti et vous de connaître la vérité. Vous trouverez en annexe les noms des personnes liées à cette affaire, des exécutants aux cardinaux. Profitez du quart d’heure qu’il vous reste à vivre pour les découvrir. J’ai versé quelques gouttes de mon élixir favori dans l’encre de cette lettre, vous serez ma dernière victime, à titre posthume.

Puisse le Seigneur me pardonner dans sa grande mansuétude,

                                                                                                                                                          Monseigneur Gandolfo

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