La mémoire dans l’appeau

Pour cette 10ème consigne, je devais construire une nouvelle à partir d’un fait divers. En cherchant un peu, je suis tombé sur une histoire assez incroyable je trouve. J’avais évidemment carte blanche pour romancer, ajouter, ôter les éléments de mon choix et en faire le récit à ma façon. Mais sachez que la base est vraie.

Bonne lecture !

La mémoire dans l’appeau

— Bonjour maman, sanglota Edgard.

Les yeux vert émeraude de la petite dame pénétrèrent le regard de cet homme au visage familier. Elle laissa couler librement des larmes de joie. Ses lèvres dessinèrent un sourire ravi sur son visage ridé. Elle tendit les bras vers son petit, après trente-sept ans d’attente, il lui était revenu. Elle ouvrit la bouche sans pouvoir prononcer un mot. Edgard enlaça sa mère, dans une étreinte à la fois tendre, franche et inespérée.

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Trois semaines auparavant, dans la fôret de Muddletown, John Fletcher faisait une randonnée. Comme tous les premiers samedis du mois, il aimait venir se ressourcer en pleine nature, observer les oiseaux, peut-être découvrir de nouvelles espèces! D’aussi loin qu’il se souvienne, il avait cette passion pour l’ornithologie. De tous les oiseaux qu’il connaissait, c’était le balbuzard pêcheur, son préféré. D’ailleurs, il avait toujours possédé un appeau qui imitait le cri de ce merveilleux volatile.

John décida de descendre vers le lac, il faisait chaud, il avait besoin de se rafraîchir un peu. Il emprunta un chemin escarpé pour gagner du temps, mais dans la précipitation, son pied heurta une racine. Il dévala la pente et sa tête percuta un rocher. Il fit encore quelques roulades et s’immobilisa enfin sur le sol.

Quand il ouvrit à nouveau les yeux, il était alité. Le silence qui régnait dans sa chambre était interrompu par les petits bips réguliers que dispensaient les différents capteurs et autres appareils de mesures qui l’entouraient. Son regard se posa sur l’étui en cuir qui contenait l’appeau. Il ententit alors les bips se rapprocher, un flot d’images défila dans sa tête. Son père, c’est ça… C’est son père qui lui avait offert cet objet, quand ils allaient observer les oiseaux ensemble.

Le sergent Samuel Beaufort fit irruption dans la pièce.

— Aaaah, il est réveillé ! On peut dire que tu as la tête dure en tout cas.

C’est vrai que John Fletcher était un gaillard robuste de nature. Et c’était un type sans histoire, sans passé, un bon citoyen de Muddletown. Le sergent Beaufort connaissait quasiment les six cents âmes de sa petite ville du sud de l’Ontario.

— T’as de la veine que le vieux Billy passait par là.

— Sam, il m’arrive un truc étrange… J’ai des tas de choses qui se bousculent dans mon esprit et je crois que je m’appelle Latulip, Edgard Latulip!

— Quoi? Mais qu’est-ce que tu me racontes?

Depuis qu’il avait repris connaissance, il se souvenait de visages, de moments de réjouissance et de peine, de lieux, mais aussi d’odeurs, de saveurs… La séquence s’arrêtait net après une chute à vélo. La sensation que tous ces souvenirs appartenaient à quelqu’un d’autre. Sa mémoire n’était jamais remontée plus loin que la puberté. Les services sociaux l’avaient  recueilli vers l’âge de dix ans. Il avait été adopté par les Fletcher trois ans plus tard. Après ses études, il avait pas mal bourlingué et était venu s’installer à Muddletown à vingt-cinq ans.

— C’est incroyable je sais, mais je me rappelle de mon enfance, de mes parents !

Rentré au poste, le sergent Beaufort fit quelques recherches. Son visage se figea, ses yeux s’écarquillèrent. Une archive d’un journal de la province daté de septembre mille neuf cent quatre-vingt-un titrait : « Mystérieuse disparition d’un garçon de onze ans, la famille Latulip dévastée ».

De retour dans la chambre de John, Sam lui fit part de sa découverte.John fondit en larmes. A quarante-huit ans, il réalisait qu’il n’avait pas été abandonné ! Toutes ces années à se torturer l’esprit, à n’avoir jamais osé fonder une famille. Être père l’avait toujours angoissé. Un enfant était-il si peu de chose, pour qu’on le délaisse comme ça?

L’enquête fut rouverte. Suivirent les investigations pour savoir pourquoi le rapprochement entre ce petit garçon de 11 ans égaré et John, enfin Edgard ne s’était jamais fait. Ils ne purent pas tout expliquer, les moyens n’étaient pas les mêmes à l’époque.Mais c’est une chute de vélo qui aurait provoqué son amnésie. Un passant l’aurait amené à l’hôpital après l’avoir trouvé gisant sur le sol. Toujours est-il qu’on plaça cet enfant, puisqu’on n’arrivait pas à l’identifier.

Mais cette fois, pour établir la preuve irréfutable de sa véritable identité, on procéda à une analyse ADN. La famille d’Edgard fut contactée pour récolter un prélèvement sur ses affaires personnelles. Ce dernier confirma que John était bien Edgard Latulip. Il venait de battre le record de la plus longue disparition d’un être humain retrouvé vivant. Le papa d’Edgard était décédé d’un cancer il y a quelques années déjà, mais sa mère vivait toujours.

La petite dame de septante-sept ans n’osa pas y croire, son trésor, toujours en vie. Il lui tardait de pouvoir à nouveau embrasser son chérubin, le serrer dans ses bras après cette insoutenable et douloureuse absence. Elle résidait à Kitchener, à cent trente kilomètres de Muddletown. Son enfant avait retrouvé la mémoire, ils allaient pouvoir rattraper le temps perdu !

Edgard arrêta la voiture devant la propriété familiale, celle qu’il avait quittée un matin de septembre, trente-sept ans auparavant. Il scruta à travers le pare-brise, aperçut la porte de garage par laquelle il était sorti avec son vélo. Presque quatre décennies étaient passées, se reconnaîtraient-ils? Il posa un pied hésitant sur le sol. Son corps tout entier tremblait, son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il s’approcha de la maison et pressa le bouton de la sonnette. L’émotion le gagnait quand la porte s’ouvrit. Une dame bien apprêtée apparut devant lui.

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Lorsqu’il relâcha la pression, il dut soutenir la pauvre femme qui s’écroulait sur le sol. Rose Latulip avait passé son existence avec l’espoir de revoir son fils un jour. Son cœur, fatigué d’avoir saigné si longtemps en attendant les retrouvailles, venait de tirer sa révérence.

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