La veuve joyeuse

Pour cette 40eme consigne, je devais cette fois revisiter une nouvelle d’un auteur célèbre en changeant le registre littéraire de celle-ci. J’avais le choix entre 10 textes et c’est « Retrouvailles » de Gabriel Garcia Marquez que j’ai décidé d’adapter. J’ai joint le texte original à la suite de ma nouvelle pour les plus téméraires. Le décryptage de ma façon d’opérer est également dans les bonus.

Bonne lecture !

La veuve joyeuse

Tous les matins, Amélie descendait inspecter la boîte aux lettres après le petit-déjeuner. Mais celle-ci restait désespérément vide : un faire-part, un courrier de condoléances, la médaille du mérite à titre posthume… rien. Frustrée, elle filait au marché, en grommelant le long du chemin, en quête de légumes pour cuisiner les repas de sa potentielle belle-mère.

Elle n’en pouvait plus, ne souhaitant qu’une chose, la mort de son idiot de fiancé. Raymond avait été appelé par l’armée pour rejoindre les troupes. Il était parti défendre la nation contre les Allemands, peu avant la date de leur mariage. Elle comptait tellement sur cette union. Il était le fils unique d’un riche propriétaire terrien. Le baguer comme un pigeon pour ensuite divorcer ferait d’elle l’héritière de la moitié de ses biens. Mais cet imbécile avait la peau dure visiblement, une vraie plaie. Si seulement un obus pouvait le déchiqueter, ou une balle perdue, lui perforer le crâne… que faisaient donc ces boches, à croire qu’ils ne savaient pas viser.

La pauvre demoiselle était obligée de se cacher pour vivre ses aventures frivoles et elle devait jouer la vierge éplorée, désespérant d’obtenir des nouvelles du front. Car, depuis quelques semaines, plus aucune correspondance de son futur ex-époux. Jusque-là, Amélie feignait l’attente insoutenable, mais elle commençait surtout à s’impatienter. Devait-elle prendre ce silence pour un bon ou un mauvais augure. Le soir, elle priait qu’il ne revienne pas infirme, ce serait le bagne. Jamais elle n’assumerait de s’occuper d’un légume. Et le quitter la ferait passer pour une femme cruelle. Elle le préférerait mort, bien refroidi, ce serait l’idéal. Il suffirait de le pleurer quelques mois comme une fiancée modèle puis récolter la dote promise par les parents de ce mou du genou, comme du reste aussi.

Elle se languissait de recevoir la lettre salvatrice et surtout plus de celles écrites par les mains moites de Raymond, qui lui inspiraient un dégoût profond. Dans ses innombrables missives pathétiques, le crapaud essayait de séduire la princesse. Il bavait des phrases affligeantes, lui contant la manière dont il l’honorerait à son retour. Ces envolées édulcorées lui donnaient la nausée. Non, Amélie attendait de pied ferme l’avis de décès, rien ne lui ferait plus plaisir.

Depuis des mois, c’était le calme plat. Serait-il passé de vie à trépas ? Pourrait-elle enfin virevolter de fleur en fleur pour butiner à foison ? La belle n’avait pas pour vocation d’être l’épouse d’un seul homme, fidèle cuisinière et ménagère. Le quotidien de la maman modèle qui pique-nique dans le parc avec sa progéniture, très peu pour elle. Alors bon, il était temps que la guerre se termine et son calvaire aussi. Les gens la considéraient comme une jeune femme, il fallait qu’elle quitte sa condition avant de devenir vieille fille.

Cette idée la hantait jour et nuit. Elle pensa même proposer quelques ébats sulfureux au facteur pour que ce dernier fabrique un pli qui la libérerait de ce joug insupportable. Mais si la supercherie était découverte, ce serait une catastrophe. Prendre son mal en patience et continuer son rôle de composition, voilà ce qu’il y avait de mieux à faire. Et puis, la vie n’était pas si difficile, entre le jardinier, le laitier et également le curé, la polissonne ne savait plus à qui vouer ses seins tant ils étaient adorés.

Arriva enfin le jour salutaire, une lettre du ministère de la Défense lui annonçant la disparition de son mari lors d’un assaut mémorable contre l’ennemi. Son corps serait rapatrié, mais pas entier, seulement ce qu’il en restait : le buste… Cette nouvelle secoua Amélie au point de lui scier les jambes. Elle qui disait toujours que son bien-aimé n’avait pas toute sa tête, les bras lui en tombaient.

Elle prit quelques secondes pour se ressaisir. Ensuite, elle se précipita dans sa chambre et enfila une robe noire, le deuil pouvait enfin commencer. Un sentiment de joie intense la parcourut. Encore un effort, elle serait bientôt libérée avec remise de peine pour bonne conduite.

Les obsèques de Raymond eurent lieu dans l’intimité, c’était un grand timide. Quelques jours après l’enterrement, Amélie fut convoquée par le notaire de la famille. Comme convenu, même s’ils n’étaient pas mariés, le testament indiquait qu’elle héritait de la moitié de la fortune du défunt. La mère de Raymond conservait la maison si elle rachetait les parts d’Amélie bien sûr. Pour les avoirs, les bijoux et les terres, le tout serait divisé équitablement entre les deux femmes.

Il était temps pour la veuve joyeuse de se retirer sous d’autres cieux. Elle décida de dire ses adieux au curé au rythme d’un air de carillon énergique. Elle fit également sauter le bouchon du laitier pour la dernière fois. On la vit sortir de la banque, une valise bien remplie sous le bras et se diriger vers l’hôtel Excelsior. Sa dernière nuit d’amour dans cette ville, c’est avec le jardinier qu’elle choisit de la passer. Lui qui savait tellement bien cultiver son potager.

Au petit matin, alors que les premiers rayons du soleil vinrent lui caresser la joue, Amélie palpa l’oreiller de son amant. Elle se redressa et constata que la chambre était vide. Celui qui, hier encore, pleurait son départ avait disparu. Taillé en douce le roi de la cisaille. La valise aussi s’était fait la malle… Elle eut beau les chercher le jour durant, il fallait s’y résigner, il l’avait ratissée, et désormais, il manquerait définitivement à la pelle.

Texte original : « Retrouvailles » de Gabriel Garcia Marquez

Ce matin, en même temps que les premiers rayons du soleil, je m’éveillai et descendis à la cuisine, presque instinctivement, comme tous
les matins depuis un an. De la fenêtre, je pouvais voir, tous les jours à la même heure, le facteur distribuer le courrier. Voilà maintenant près
d’une année que ce personnage passe et repasse sans jamais s’arrêter, jusqu’à aujourd’hui. Le cœur battant et les mains moites, je constatai qu’enfin, des nouvelles de mon cher mari me parvenaient de l’autre côté de l’océan. Peu après la lecture de cette courte et précieuse lettre, je pris la décision de le rejoindre. Le plus tôt serait le mieux.

Malheureusement, je dois avouer que le terme « mari » n’est pas tout à fait utilisé correctement. À vrai dire, nous n’étions que fiancés, à quelques jours de concrétiser notre amour par les liens du mariage, lorsqu’il fut obligé de partir loin de moi. Je dois avouer que le fait de l’appeler mari me procure un plaisir immense. Cet homme avait été le seul qui gagna mon cœur et je l’aime plus que ma propre vie. Peu de temps avait suffi avant que nous annonçâmes nos fiançailles. Bien sûr, mes parents ne firent aucun effort pour dissimuler leur mécontentement, me rappelant sans cesse à quel point nous étions jeunes et inexpérimentés, surtout lui, qui venait juste d’achever ses études en droit. Ils disaient qu’il ne me méritait pas. Ils voulaient à tout prix mettre fin à nos projets.

À l’exception de mes parents qui s’entêtaient à changer nos plans, tout se déroulait comme dans un rêve. Assurément, ç’aurait été une des
cérémonies des plus simples, dans la petite église, à quelques rues d’ici. J’aurai porté une robe discrète, mais jolie et j’aurai orné mes cheveux de ses fleurs préférées. Nous avions pris soin de tout planifier jusque dans les moindres
détails. Tout sauf la guerre en Europe, l’obligeant à rejoindre les troupes des Alliés.

La veille de son départ, le 19 décembre 1945, j’emménageai dans la petite maison qu’il avait réussi à acheter, afin que nous puissions l’habiter, une fois unis. Cette maison était petite, mais pour moi, elle représentait l’effort d’un amour immense, elle était la plus belle de toutes, car elle serait témoin de tout notre amour. Elle avait des grandes fenêtres et une belle galerie. J’avais décidé qu’il serait plus agréable d’habiter cet endroit seule, plutôt que de rester sous le toit familial, et me faire sermonner par mes parents, satisfaits par le cours des événements.

Cinq années se sont écoulées depuis ce jour. Comme promis, il se réserva le temps, au moins une ou deux fois par mois, de me rédiger une
longue lettre, m’informant de son état de santé. Chacune de ses précieuses lettres était terminée par des tendres salutations, laissant entrevoir sa hâte de revenir à mes côtés et cette fois pour l’éternité. Cette année fut la plus longue et la plus pénible à passer. L’attente des nouvelles fit croître mon inquiétude jusqu’à tôt ce matin pour ainsi mettre fin à mon calvaire. Toute réflexion était inutile, rien ni personne ne me ferait changer d’avis.

Il me restait l’après-midi entier pour finaliser mes préparatifs. En quelques minutes, j’avais mis en place, dans ma tête, le déroulement des choses. Le soleil était couché depuis un bon moment déjà lorsque je terminai la lettre motivant mon départ hâtif. Je la plaçai sur la table de la salle à manger puis enfilai ma robe jaune clair, celle qu’il préférait. Dehors, il faisait doux, et une légère brise printanière faisait danser les feuilles du haut des arbres. Du balcon, la lune paraissait plus grosse et plus blanche qu’en bas au sol. En montant sur la rambarde, j’oubliai subitement mon vertige d’autrefois et ne me préoccupai guère de la douleur que me procura la chute, puisque quelques instants plus tard, je me trouvais à nouveau à ses côtés.

Analyse et décryptage

J’ai souhaité donner une orientation humoristique au texte de base. J’ai repris le postulat de départ de l’auteur, en conservant d’ailleurs la même accroche, mais j’ai très vite dérivé pour les besoins de la chute que j’avais prévue.

J’ai tenté de donner plusieurs niveaux d’humour au texte :

  • Tout d’abord, le narrateur plaint un peu l’héroïne qui est pourtant une ignoble croqueuse.
  • Je la rends odieuse, à l’instar de sa condescendance en nommant les boches
  • J’ai truffé le récit de jeux de mots (comiques ou pas, le lecteur sera juge)
  • Il y a du comique de situation, comme s’envoyer en l’air avec un curé
  • Et la chute : l’arroseur arrosé, par un jardinier en plus !

Vous me direz si le texte est réussi, car j’ai pris le temps de digérer la nouvelle de Garcia Marquez. Pour ensuite pointer le ressort qui donnerait l’impulsion comique à mon histoire, c’est-à-dire changer l’amoureuse transie se donnant une mort tragique en une garce cupide et manipulatrice. Faire passer le héros de guerre pour un incapable impuissant. Et enfin, changer le ton solennel du texte original pour lui amener de la légèreté et des bons mots.

Au final, je pense m’être approprié le récit de l’auteur pour en faire une autre histoire. Et j’ai donc répondu à la consigne en modifiant le registre initial.

1 réflexion sur “La veuve joyeuse”

  1. J’ai beaucoup aimé la manière dont tu t’es approprié le récit de l’auteur.
    Le texte est  » fin » dans ta description de certaines scènes.
    Les expressions employées ne peuvent que faire sourire !
    Merci Benjamin pour ce moment  » d’égarement ».
    Continue encore et encore !!

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