Le décapsuleur

Pour cette 19ème consigne : je devais écrire une nouvelle brève. Environ une page A4. Il fallait un récit rythmé, basé sur une force naturelle propre à chaque auteur. J’ai donc choisi l’humour et les jeux de mots. Si ce n’est la concision et la pertinence des phrases, le reste était laissé à mon appréciation.

Bonne lecture !

Le décapsuleur

J’attends, avachi dans un canapé bas et profond dont les accotoirs sont surélevés, ce qui m’oblige à lever le coude… design suédois ne rime pas toujours avec confort. Le menton quasiment posé sur les genoux, je fixe un portrait de Maryline par Andy Warhol. Il vibre à chaque claquement de porte. Nous ne sommes plus que trois dans le vestibule devant le bureau de la direction du personnel.

Lindemans1 a l’air particulièrement en forme aujourd’hui. Quatre collègues sont déjà sortis la mine déconfite. Le dernier, Thierry Maes2, a la tête tellement enfoncée dans les épaules que ses oreilles dépassent à peine du col.

— N’oubliez-pas de prendre un carton avant d’aller récupérer vos effets personnels !

Au bout d’un doigt manucuré, pointé vers quelques boîtes vides empilées dans un coin de la pièce, une aimable secrétaire, sans lever les yeux de son Paris Match, s’adresse à tous les pauvres diables déambulant devant elle.

La porte s’ouvre :

— Bertinchamps3 !!!

La victime est en fermentation, la sueur perle sur son front. La marque de son fessier s’estompe sur le divan alors qu’elle pénètre dans l’antre, d’un pas hésitant. Je fais maintenant face au dernier rescapé en sursis. Il ne doit pas apprécier mes chaussures car il les fixe, consterné, depuis quelques minutes.

— Tu sais pourquoi tu es convoqué toi ? T’as poussé le bouchon trop loin cette fois ?

Les yeux écarquillés, il me fixe, tremblant. Je viens de le sortir d’une léthargie, d’un mutisme absolu. Je crois que ma question va le faire défaillir. Sa bouche s’ouvre, ses lèvres se meuvent.

— Ma femme me quitte pour un autre, mon chien est mort… Je crois que si le directeur me licencie, je me suicide !

Ah, je ne m’attendais pas à celle-là évidemment. Edouard de la Corne du Bois du Pendu4 n’a jamais aussi bien porté son nom qu’aujourd’hui. Je cherche une réponse adéquate, pour qu’il ne claque pas à mes pieds, sur la moquette en peau de bouc retourné. Je suis prêt à enchaîner lorsque le grincement de la clenche retentit. Bertinchamps est blême, en liquéfaction.

— Westmalle5 !!!

Je me lève, abandonnant Edouard à son désarroi mortuaire.

— Vous désiriez me voir M. Lindemans ?

— Oui, je pars pour Malte demain, j’expédie les affaires urgentes !

Je ne vous cache pas qu’à cet instant, la pression monte.

— La place de DRH adjoint est vacante vous avez le plus de bouteille pour ce poste. Intéressé ?

— Vous dites ça pour me faire mousser ?

— Bien, ce n’est pas que je n’aime pas brasser du vent mais vous avez du boulot.

—  Ah bon ?

A peine les responsabilités acceptées, j’allais déjà trinquer.

— Votre première tâche sera de virer le peigne-cul qui attend dehors ! J’en boirai une à votre santé en vacances, bonne chance !

Lindemans – Maes – Bertinchamps – La corne du bois du pendu – Westmalle : Tous des noms de bières belges

3 réflexions sur “Le décapsuleur”

  1. Bonjour Benjamin,
    Je prends enfin de faire un petit tour sur les blogs de mes camarades.
    Cette nouvelle efficace et concise montre bien la cruauté du monde du travail.
    Bravo pour ton site et bonne continuation,
    Anne-Marie

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