L’énième première gorgée de sirop

Pour cette 8ème consigne, il fallait utiliser le pastiche, la parodie. J’avais un texte de base duquel je devais partir : « La première gorgée de bière » de Philippe Delerm. Il fallait donc garder le style Delerm en se l’appropriant, et en le transformant pour amener une dimension humoristique. L’absurde étant un angle d’attaque que j’affectionne particulièrement, c’est en passionné de sirop que j’ai décidé d’écrire cette nouvelle.

Bonne lecture !

L’énième première gorgée de sirop

Car la première fut la plus remarquable, la plus éblouissante. Les suivantes ne procurent jamais la même jouissance, elles sont d’une banalité triste, d’un ennui infini.  Alors, il faut trouver l’astuce, retrouver le béguin pour ce breuvage divin. D’abord, se rendre malade. Il faut souffrir pour mériter la récompense. On recherche le mal de gorge, on hume la moindre possibilité d’attraper un rhume. On roulerait presque une galoche au premier reniflant venu, pour enfin recommencer la ronde de la séduction avec le remède sacré.

Ça démarre avec le capuchon, garant de la longévité du trésor contenu dans l’écrin aux parois fumées. On applique une pression et ensuite on le dévisse, l’excitation monte peu à peu. Sentir, sous les doigts, le déclic de l’ouverture, voilà qui fait tressaillir le corps d’allégresse. L’exaltation est à son paroxysme, l’accès à cet élixir onctueux est à une levée de coude.

Maintenant la dose ! L’important, c’est la dose ! Et là, un choix s’impose : seringue étalonnée ? Trop chirurgical ! Petite cuillère ? Imprécis ! Au goulot ? Au culot plutôt… Une quantité trop conséquente pourrait amenuiser toute chance de récupérer un semblant de déjà vu ! Une ration timide n’en révélerait pas le raffinement subtil. Surtout ne pas succomber à l’impatience, ni au questionnement. On ne doit pas chercher à savoir combien de temps nous en profiterons. Le but n’est pas d’être débarrassé du mal qui nous envahit trop promptement ? Non ! Juste apprécier le moment présent, faire durer le plaisir de ce vice délicieux.

Enfin, une fois la manière définie, il est temps de délivrer le précieux liquide. Le godet doseur semble le plus adapté. Mais attention : transparent ! Il permet alors de contempler la robe rubis de cette liqueur paradisiaque avec bonheur. En inhaler l’arôme parfumé de mille délices avant de passer au moment tant attendu : la dégustation…

Cette nouvelle gorgée est capitale. Elle ravive les souvenirs les plus doux de la toute première fois… Réactive un désir enfoui. La frénésie est proche, l’avidité l’emporte, ce n’est pas une gorgée… Mais plutôt une lampée gouleyante, qui envoute la langue en douceur, caresse le palais délicatement et termine en tapissant la gorge telle une mélasse enchanteresse.  Les paupières closes, les papilles en alerte, on est transporté par l’effet salvateur de cette boisson harmonieusement curative. On aimerait que ce moment dure à jamais…

Lorsque les effets bienfaisants s’estompent, il faut rester vigilant. L’addiction guette, il ne s’agirait pas de sombrer dans la dépendance. Car c’est la rareté de cet acte qui le rend si merveilleux. On aimerait croire qu’on peut s’en délecter sans fin et sans faim. Mais ce nectar incomparable, s’il peut guérir, peut aussi faire défaillir. Ce qui en fait un mets d’exception. Un équilibre fragile entoure de mystère ce philtre envoûtant. Mais comme tout charme, à l’utiliser trop souvent, on s’immunise.

Pour ne pas gâcher ce rituel, il faut en espacer les prises. Cependant, on est sur le qui-vive, on trépigne d’impatience l’arrivée de l’air gelé qui viendra érailler notre gosier. On y retournera avec délectation et entrain, dans l’espoir de retrouver, un jour peut-être, la sensation de la première gorgée.

4 réflexions sur “L’énième première gorgée de sirop”

  1. Je me suis prêtée au jeu et au fil de la lecture mes papilles gustatives ont été stimulées ! Ce sirop, je l’ai vu couler, je l’ai presque senti glisser paresseusement dans ma gorge…haha, j’ai beaucoup apprécié la richesse du vocabulaire et ton humour en filigrane.
    J’ai senti que tu t’etais délecté dans l’ecriture de cette nouvelle!
    Merci ????

  2. Bonjour Benjamin ! Juste un message pour te dire que je trouve ton idée d’expliquer les consignes avant la production des textes excellente, car mes proches m’ont parfois reproché de ne pas savoir quel était l’instruction de départ pour mieux jauger ! Je risque de ta la piquer pour mon blog ! Je te suivrai ici même car sur la plateforme parfois, on s’y noie ! Sabrina, une autre écrivain en herbe (très basse encore !) Belle journée !

    1. Coucou Sabrina,

      Si les proches reprochent, où va-t-on ? Non mais je te le demande ! Comme communiqué sur le site, vas-y inspire toi seulement. Et tu es plutôt une écrivain en plante, qu’en herbe…
      Enfin, passe qu’en tu veux sur ce blog !
      Bon week-end…

      Ben

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