Sang pour cent

Pour cette 13ème consigne : je devais cette fois composer une nouvelle fantastique et explorer les possibilités narratives de la méthode de questionnement suggérée par la consigne et qui consiste à se dire : « Et si »…

Intrusion de l’anormalité, dérèglement de la réalité, l’objectif premier était ici d’insuffler de l’étrange, d’instiller un malaise, voire de faire basculer dans l’horreur.

Ce n’est pas le style avec lequel je me sens le plus en phase mais je me suis prêté au jeu.

Bonne lecture !

Sang pour cent

Marc ne comprenait toujours pas pourquoi il était là. Nu, attaché à une roue, posée à la verticale. Tous ces gens bizarres qui le regardaient. Ils fredonnaient une chanson monocorde, vêtus de frusques de carnaval. Son cœur frappait sa poitrine. La sueur perlait sur son front. Lorsqu’il le vit passer la porte, la stupeur marqua son visage.

La semaine précédente, Marc était heureux. A peine trois mois qu’il était diplômé en hématologie et il travaillait déjà. Il avait décroché un boulot à plein temps dans un centre d’analyse et de recherche sur les maladies auto-immunes. Passionné, emporté par la fougue du début, il ne comptait pas ses heures, et restait parfois très tard au labo.

Un soir, alors qu’il terminait des tests sur des échantillons, il entendit de l’agitation dans la chambre froide. Il décida de vérifier ce qui s’y tramait. Toute la réserve de poches de sang y était entreposée. Il entrouvrit la porte et fit un pas de recul. Mélanie en sortit en trombe. Une superbe plante aux cheveux blonds et au regard bleu acier. Un frisson parcourut le dos du jeune employé.

— Encore ici, à cette heure, beau gosse ? Gloussa-t-elle.

— Euh, oui, je termine quelques travaux et je rentre, balbutia-t-il. Visiblement troublé par la jeune femme.

Par-dessus l’épaule de sa délicieuse collègue, il ne put s’empêcher de scruter l’intérieur du local. Deux drôles de personnages remplissaient un carton avec des poches de sang.

— Que se passe-t-il là dedans ?

— Rien, beau gosse, on organise une réunion de cadres dans la salle de conférence, on prend quelques rations pour tenir le coup toute la soirée, s’amusa-t-elle.

— Sous perf carrément ! Ce ne serait pas plus simple avec du « red bull » ? plaisanta-t-il à son tour.

Le lendemain matin, Marc découvrit une enveloppe sur son bureau, à l’intérieur, un carton d’invitation à une soirée organisée par le directeur. Mélanie débarqua, sourire aux lèvres et décolleté ravageur.

— Tu as reçu ton pass pour samedi ? On pourra y aller ensemble… Tu passes me prendre à 20h00 ?

Complètement envouté par le parfum de la jeune femme, comme anesthésié, il hocha la tête en guise de confirmation. Il avait les mains gelées.

Samedi soir, Marc arriva avec quelques minutes d’avance sur l’horaire. Il décida d’attendre avant de sonner. Mais Mélanie apparut, dans un long manteau de fourrure, sur le seuil de la porte. Elle se dirigea vers la voiture. A peine installée, du givre se forma sur le pare-brise. Marc enclencha la  ventilation pour briser la glace.

— Le directeur organise souvent ce genre de soirée ? Au bureau, on m’a dit que c’était une sorte de gala de charité.

— Une fois par an, c’est l’occasion pour les nouveaux de montrer leur bon cœur.

Marc franchit le portail et pénétra dans l’immense propriété. Des voituriers l’accueillirent devant le perron de la demeure. A l’entrée, un domestique proposa de les débarrasser de leur manteau. Marc découvrit la tenue de Mélanie. Elle portait une combinaison de cuir moulante, des bas résille et des cuissardes.

— Il fait vraiment très froid, tu ne remettrais pas ton manteau ? Houspilla-t-il.

— C’est la température idéale pour ce genre de soirée.

Il ne releva pas cette dernière remarque. Il se demandait simplement pourquoi elle s’était déguisée. Il observa un peu les différents invités autour de lui. Plusieurs étaient affublés de capes. Ils entrèrent alors dans la grande salle de réception. Tout le monde le fixait, le sourire aux lèvres. L’accueil  très était cordial. Il visa le bar, ce qui ressemblait à une fontaine de jus de tomate trônait sur le comptoir. Il s’apprêtait à offrir une coupe à sa cavalière du soir quand  elle lui fit un baiser. Marc sombra.

Lorsqu’il se réveilla, il était nu, attaché sur une roue. Le corps de plusieurs employés de la société gisaient sur le sol. Du sang dégoulinait de leur cou. Il peinait à reconnaitre les autres personnes présentes dans la salle. Une créature à la face émaciée et aux canines protubérantes maculées de rouge s’approcha de lui. Son regard lui paraissait familier. Marc était chamboulé.

— Alors beau gosse, tu commences à percuter ? lui adressa-t-elle.

— Mélanie ? Mais que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce que c’est que cette mise en scène ? Que fais-tu accoutrée comme Vampirella ?

Elle éclata de rire, lui mordilla l’oreille et le fit pivoter en direction de l’entrée de la salle.

Cent convives formèrent une haie d’honneur. Celui qui semblait être le maître des lieux avança vers sa victime. C’était un colosse de deux mètres, les yeux jaunes, la peau noire nervurée. Il tenait une serpe dans sa main. Il ressemblait vaguement au directeur. Tout semblait parfaitement réel et sérieux. Mais Marc ne pouvait en accepter l’idée. Il se disait plutôt qu’il avait passé l’âge des bizutages. Même s’ils avaient mis le paquet. Il tirerait les choses au clair. Le mastodonte se tourna vers l’assemblée :

— Mes amis. C’est à nouveau un grand soir pour notre communauté. Nous allons nous partager le cœur de ce jeune garçon et profiter de sa vitalité pour garantir notre longévité.

A ces paroles, des cris retentirent dans la salle. Marc se tendit, son corps entier était moite. Il devint réellement inquiet. Il voulut invoquer la clémence de son tortionnaire, en vain. La lame froide pénétra sa chair, un éclair traversa sa poitrine. Le Vampire sortit son bras du buste de l’infortuné, son cœur battait encore dans sa main.

Lundi matin, une annonce paraissait dans la gazette : « Centre  hématologique engage : jeune, motivé, n’ayant pas froid aux yeux. Volontaire, dynamique et prêt à donner le meilleur de lui-même. Pour emploi  hors du commun au sein d’une équipe originale. »

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