Spartacus le fourbe

Pour cette 14ème consigne : je devais cette fois revisiter un mythe ou une légende, en apportant un éclairage nouveau à la version historique ou admise, au service d’une création ou d’une recréation.

La consigne m’invitait à choisir un personnage parmi les nombreux que la mythologie nous offre, et à modifier le cours de son existence en fonction de mes objectifs, dans un récit qui pouvait librement emprunter au dramatique, au fantastique ou au comique.

J’ai donc penché pour l’uchronie en plaçant Spartacus au centre de mon récit.

Bonne lecture !

Spartacus le fourbe

Les plaines du Pô étaient le théâtre de boucheries sanglantes depuis des jours. L’armée des braves fêtait victoire sur victoire contre les Romains. Leur meneur, Spartacus, s’avança vers le tribun1, agenouillé au milieu des corps des soldats vaincus.

— Le cœur ou la tête ?

Le chef romain leva les yeux.

— Profite de ce moment, chien, car c’est ta dernière victoire !

Spartacus planta son épée dans le buste du légionnaire et le laissa suffoquer parmi ses semblables.

Sur la colline, Gaius Claudius Glaber assistait, impuissant à la déroute de son armée. Il avait échoué. Le sénat l’avait choisi, lui, le préteur sanguinaire. Il avait reçu le commandement de trois légions. Sa mission était de retrouver l’esclave dissident, de le tuer et d’éliminer tous ses acolytes.

La révolte des gladiateurs avait largement dépassé les remparts de Capoue. Des paysans, des bergers et des esclaves en tout genre avaient rejoint la rébellion. Les sénateurs avaient sous-estimé l’impact de l’insurrection d’une poignée de combattants au sein de leur ludus2. Le guerrier thrace savait comment organiser une armée. Prisonnier dans sa jeunesse, il avait fait ses classes à Rome avant d’être vendu comme esclave à un Laniste3.

Mais ce soir-là, la victoire n’avait pas la même saveur pour Spartacus. Il paraissait intrigué. Il quitta le campement à cheval en laissant pour seule consigne qu’il reviendrait cinq jours plus tard. Il lui arrivait de s’absenter de plus en plus souvent, sans vouloir être escorté.

Glaber était humilié. Réduit à néant. Ses titres militaires retirés. Chassé de Rome et plus aucun espoir pour lui d’intégrer le sénat. Le sénateur Crassus jubilait. Il assistait, ravi, au lynchage de son ennemi juré. Son plan avait fonctionné à merveille. Il descendit dans les geôles. Derrière un pilastre, non loin d’une porte dérobée, Spartacus était immobile, silencieux.

— Tu es content, tu as eu ce que tu voulais ? grogna le Thrace.

— Certes, tu as fait de l’excellent travail jusqu’ici ! rétorqua le dignitaire romain.

— Alors respecte ta part de marché ! Donne-moi mes terres et les pièces d’or promises !

— Il reste une dernière étape pour que notre manigance touche au but.

— Les attaques romaines se font de plus en plus violentes, et mes troupes se déciment, je ne suis pas sûr de pouvoir tenir encore longtemps Crassus. Même avec les informations stratégiques que tu me fournis.

— Après la débâcle que Glaber vient de subir, le sénat va me confier directement les rênes de la prochaine bataille. Tiens, voici le plan, utilise-le à bon escient. Ce sera l’ultime affrontement.

— Très bien, j’ai hâte que cette mascarade touche à sa fin et que ces loqueteux soient exterminés. Et puis, voilà bien longtemps que je suis séparé de ma femme.

—  Maintenant, va soldat ! Rejoins le clan des rebelles et fais route vers Modène !

Spartacus, de son vrai nom, Lucius Pylus, centurion de la légion romaine, obtempéra. Son beau-père lui avait promis qu’il vivrait libre avec sa fille s’il menait sa mission à bien. Riche propriétaire terrien, il coulerait des jours heureux jusqu’à sa mort. Toute la machination machiavélique imaginée par Crassus pour monter les échelons politiques avait fonctionné.

Créer un héros du peuple, donner de l’espoir aux serviteurs, aux manants. Ensuite les écraser pour affirmer la toute-puissance de la classe supérieure. Les rendre encore plus dociles. Crassus gagnait sur tous les tableaux. Il confirmait qu’il était un maître de guerre, fin stratège, capable d’arriver à vaincre n’importe quel ennemi. Mais qu’il était aussi un excellent politicien. Il ne restait plus qu’un détail à régler, la victoire du Légat4 sur le Thrace.

C’est ici, à Modène que devait se dérouler l’acte final. Celui qui propulserait le sénateur comme consul5 et Spartacus au rang de héros à titre posthume. L’armée des parias était retranchée au pied du mont Cimone, pour fuir dans la montagne en cas de retraite. Une partie des compagnons avait jugé la tactique trop risquée. Ils choisirent de suivre Crixus, lieutenant du Thrace, dans une autre direction. Ils trouvèrent la mort, pris dans un guet-apens, comme si les Romains avaient eu vent de leur itinéraire.

Quatre  légions furent confiées à Crassus, il envoya des hommes se poster en amont du campement des rebelles. Au petit matin, alors que l’armée des braves dormait encore, il fit charger ses troupes vers le repaire du gladiateur le plus recherché d’Italie. L’affrontement fut de courte durée. Le surnombre et l’effet de surprise permirent aux Romains de massacrer les valeureux combattants en quelques minutes. Spartacus fut terrassé et jeté dans un précipice, si bien qu’on ne retrouva jamais son corps.

Quelque temps après cette victoire écrasante, Crassus fut nommé consul et devint le premier conseiller militaire de Pompée. Lucius Pylus ne revint jamais dans la capitale mais profita longtemps de son or et de ses vignes dans une province du sud de l’Italie.

1 Tribun : officier supérieur de la légion romaine

2 Ludus : école de gladiateur

3 Laniste : propriétaire d’un ludus

4 Légat : personne déléguée par le sénat pour mener à bien une mission particulière

5 Consul : Magistrat romain exerçant le pouvoir suprême civil et militaire

2 réflexions sur “Spartacus le fourbe”

  1. Tu pourrais écrire le même type d’histoire avec les gilets jaunes!
    Je trouve qu’il y a un équilibre habile entre la narration et le dialogue, pareil pour la gestion des temps et concordance.

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